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seul ! — Je vois bien que l’on se ligue contre moi ! s’écrie Maximilien ; la majorité du comité conspire contre moi. — Et il se met à déclamer à ce sujet avec tant de véhémence, que de la terrasse des Tuileries l’on entendait sa voix, car je vis plusieurs citoyens s’arrêter et prêter l’oreille. J’allai fermer la fenêtre, et Robespierre, se calmant un peu, reprit : — Il y a dans la Convention nationale une faction qui veut me perdre ! — Et toi, lui répondis-je, grâce à ton décret, tu veux faire guillotiner toute la Convention. — Moi ! s’écrie-t-il, s’adressant aux autres membres du comité, je vous prends à témoin : ai-je jamais pu dire ou penser qu’il fallait faire guillotiner la Convention ? C’est une infâme calomnie ! Va, Billaud, je te connais maintenant ! — ajouta-t-il amèrement. — Moi aussi, je te connais maintenant, Robespierre, tu es un contre-révolutionnaire. — Ce reproche le consterna tellement qu’il ne put retenir ses larmes [1]. »

— Ah ! je comprends l’amertume de la douleur de ce grand homme. Se voir si cruellement méconnu de vous, de vous, Billaud, qui l’égalez en civisme et en intégrité. Mais quelle est votre déplorable aberration ! L’ai-je bien entendu, vous, d’un esprit si droit, si logique, vous accusez Maximilien de pousser à la contre-révolution, afin de ramener la royauté !

— Tel est son dessein, et j’ai droit à mon tour de m’étonner de ce que vous, Jean Lebrenn, intelligent et bon patriote, vous souteniez Robespierre, lorsque tous les vrais républicains se devraient liguer contre lui.

— Écoutez-moi, Billaud, j’ai toujours eu, jusqu’ici, le bonheur de vivre en dehors des partis, de m’occuper des principes et non des hommes ; je dois peut-être à cette ligne de conduite une sorte de lucidité ou d’impartialité de jugement dont vous m’avez quelquefois félicité.

— Certes, et c’est justement parce que vous n’êtes pas homme de parti que j’attache du prix à votre opinion, quelle qu’elle soit.

— Eh bien donc, en deux mots, la voici : comme vous, je crois que Robespierre, en proposant à la Convention la loi de prairial, voulait se faire de cette loi une arme terrible contre les terroristes. Il avait raison.

  1. Le récit de l’entretien de Robespierre et de Billaud-Varenne que nous avons guillemeté a été donné par Billaud, ensuite du 9 thermidor. (Voir Histoire parlementaire de la révolution, t. 52, page 86.) Il ressort de ce fait que Robespierre, le prétendu dictateur du comité de salut public, exerçait rarement une influence décisive, et que, dans une foule de questions, il avait contre lui la majorité des comités.