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nous, terroristes, et moi le premier, nous ne démêlions pas encore la scélératesse de la loi ; un frémissement de frayeur ou d’indignation court sur tous les bancs, sans distinction de montagne, de droite ou de marais ; chacun tremble pour son cou et se croit individuellement menacé par Robespierre, un tolle général s’élève : Tu veux décimer la Convention ! — s’écrie Carrier, se sachant plus que personne abhorré de Robespierre. — Ces mots ont un écho universel ; alors ce bon Couthon, ce naïf Couthon, le tumulte apaisé, de s’écrier : — Nous, juste ciel ! avoir une si atroce pensée ! Un pareil soupçon peut-il seulement nous atteindre ? — Robespierre, de livide qu’il est habituellement, devient vert et écume de rage muette : ses desseins, pénétrés, avortaient. En vain il joue la conscience indignée, en vain il repousse avec hauteur et dédain les accusations dont on l’accable, personne n’est dupe de cette comédie, et la loi est votée.

— Quoi ! malgré les dangers dont elle vous menaçait, disiez-vous ?

Primo, ces dangers n’existaient plus dès qu’ils étaient signalés, puisque nous sommes en majorité dans le comité de salut public, et que désormais nous aurons l’œil sur le triumvirat. Secundo, ce décret, donnant au tribunal révolutionnaire une énergie nouvelle, nous convient de tous points, à nous qui sommes, à l’encontre de Robespierre, convaincus que pour assurer le salut de la république, il faut prolonger le règne de la terreur ; or, n’est-il pas piquant de voir le décret spécialement dirigé par Maximilien contre nous, terroristes, devenir entre nos mains une arme contre les indulgents et contre lui ?

— Ainsi, Billaud-Varenne, vous songez à frapper Robespierre ?

— Tout tyran doit être frappé !

— Lui, tyran !

— Il aspire à la dictature… j’en ai la preuve. Écoutez encore. « Ce matin, aussitôt que Robespierre est entré au comité, je lui ai reproché d’avoir porté à la Convention, seul, d’accord avec Couthon, l’abominable décret qui faisait l’effroi des patriotes. Il est contraire, lui ai-je dit, à tous les principes et aux habitudes du comité de présenter, à son insu, un projet de décret. Savez-vous ce qu’à cela m’a répondu Maximilien ? — Que jusqu’ici tout s’étant fait de confiance entre les membres des comités, il avait cru pouvoir, en cette occasion, agir seul avec Couthon. — Tu te moques de moi, ai-je repris, jamais, pour des questions de cette importance, le comité n’a agi isolément. Le jour où un membre du comité se permettra de présenter, de son autorité privée, un décret à la Convention, il n’y a plus de liberté, l’on subit la volonté d’un