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l’on dit : la gourme de son effervescence et de son inexpérience politique ; et maintenant, plein de respect pour la loi, pour la Convention, où il voit l’incarnation de sa propre souveraineté, il est resté sourd aux excitations des hébertistes, des enragés, lui prêchant une criminelle insurrection. Que dire enfin ? Après tant de luttes, tant de sacrifices, tant de malheurs affreux ; après tant de sang versé dans les guerres civiles et étrangères, la révolution triomphe ; elle touche à son apogée, à son complet développement ; un pas encore, et désormais inébranlable, elle pourrait, grâce à la paix publique, déposer le glaive, ne plus s’occuper que du bonheur commun ; et cependant, le croirait-on ?… c’est en cet instant suprême que les meilleurs patriotes se déciment, s’entre-tuent avec une fureur aveugle : Anacharsis Clootz, Hérault de Séchelles, Camille Desmoulins, Danton, et tant d’autres, et des meilleurs ou des plus illustres citoyens, sont envoyés à l’échafaud !

— Eh ! sans doute ; et s’il est quelque chose de surprenant, c’est votre surprise, mon cher Lebrenn, — dit soudain une voix. Charlotte et son mari retournent vivement la tête et aperçoivent Billaud-Varenne, debout au seuil de la porte ouverte ; il écoutait depuis quelques instants les confidences de Jean Lebrenn, indiscrétion presque involontaire : les deux époux, absorbés dans leur conversation, n’avaient point aperçu le conventionnel. Celui-ci, s’approchant alors, dit cordialement à Charlotte :

— Vous m’excuserez, n’est-ce pas, madame, d’avoir ainsi perfidement écouté aux portes ? Il est vrai que la porte était ouverte ; cette circonstance atténue un peu mon espionnage ; — puis, s’opposant par un geste amical à ce que Jean Lebrenn se levât de la chaise longue où il se tenait à demi couché, Billaud-Varenne ajoute en serrant affectueusement la main de l’époux de Charlotte : — Ne bougez pas, mon cher blessé, vous avez conquis glorieusement le droit de rester étendu sur ce canapé. Votre bonne et aimable femme a dû vous écrire quel intérêt j’ai pris à tout ce qui vous concernait depuis votre départ pour l’armée ?

— Oui, ma femme m’a souvent fait part de votre affectueux souvenir, mon cher Billaud, et, de plus, je sais que, grâce à votre intervention, le citoyen Hubert, frère de ma belle-mère, est oublié dans la prison des Carmes, où il est depuis longtemps détenu comme suspect, et…

— C’en est assez, c’en est trop même sur ce sujet, — reprend Billaud-Varenne, moitié souriant, moitié sérieux, — n’éveillez pas