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— Embrassez donc aussi Castillon : il a été pour moi, dans cette campagne, plus qu’un camarade… il a été un frère.

— Je le savais par tes lettres, — répond Charlotte ; et elle embrasse cordialement le contre-maître, lui disant : — Soyez accueilli en frère, vous qui, pour nous, vous êtes conduit en frère.

— Ma foi, citoyenne, il n’y avait pas grand mérite à cela, l’ami Jean est un si brave et si bon camarade, — répond Castillon profondément touché de cet accueil ; — j’aurais voulu vous ramener le patron droit sur les jambes ; mais, par suite de sa blessure, il boite encore. Il lui faut, pour être guéri tout à fait, ont dit les chirurgiens, un mois ou six semaines de repos absolu ; ainsi, mettez l’ami Jean aux arrêts forcés, citoyenne ; et là-dessus je m’encours revoir nos camarades, notre forge, ma vieille enclume. Ah ! vrai, malgré l’entrain de la guerre, malgré la réjouissance d’échiner les Austro-Prussiens de Wurmser et de Brunswick, souvent je soupirais en songeant à l’atelier ; aussi, après m’être crânement servi de mon fusil contre les ennemis de la république, je vais le mettre au croc sans regret et reprendre joyeusement le marteau. À revoir, l’ami Jean !

— Vous souperez avec nous, citoyen Castillon, — dit Charlotte ; — vous ne nous laisserez pas seules fêter le retour de mon mari.

— Vous êtes bien honnête, citoyenne Lebrenn ; j’accepte votre offre de grand cœur, la journée sera complète, — répond le contre-maître. — Je vais aller dire bonjour aux camarades de l’atelier, mais n’oubliez pas d’empêcher l’ami Jean de marcher, sans quoi il risque de rester boiteux, — ajoute Castillon en sortant du salon.

— Mon enfant, — dit madame Desmarais, — il faut que ton mari quitte son uniforme et se couche : sa blessure a sans doute besoin d’être pansée.

— Oh ! maintenant, monsieur le volontaire, vous ferez toutes nos volontés, — reprend Charlotte en souriant et aidant son mari à se débarrasser de la buffleterie à laquelle était suspendu le sabre dont le général Hoche l’avait gratifié, après la bataille de Wissembourg.

— Chère Charlotte, cette arme augmentera le nombre des reliques de notre famille, — dit Jean Lebrenn ; et il ajoute avec un profond attendrissement : — C’est à notre enfant que je léguerai le sabre d’honneur !

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La journée touche à sa fin ; Jean Lebrenn et sa femme ont passé