Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 16.djvu/68

Cette page n’a pas encore été corrigée

faiblesse, sauver les dantonistes, objectant que la contre-révolution, déjà encouragée par la condamnation des hébertistes, deviendrait de plus en plus menaçante si les indulgents restaient impunis. Robespierre se vit presque seul contre la majorité des comités, qui demandaient avec acharnement la mise en accusation de Danton et de ses amis ; et, soit qu’il craignît de compromettre sa popularité en les soutenant plus longtemps, soit que, gagné par les impitoyables sophismes de Saint-Just, il considérât réellement la condamnation des indulgents comme une sorte d’indispensable contre-poids à la condamnation des enragés, il céda et eut le triste courage de parler contre les grands citoyens que, naguère encore, il défendait avec une si opiniâtre générosité. Cette concession déplorable entachera pour jamais sa mémoire aux yeux de la justice éternelle, et de plus, cette concession portait un coup irréparable et mortel à la république ; elle perdait surtout en Camille Desmoulins et Danton une partie de ses forces les plus vives. Ils furent décrétés d’accusation dans la nuit du 9 au 10 germinal an II (mai 1794), ainsi que Phelippeaux, Lacroix, Bazire, Chabot et Hérault de Séchelles, tous patriotes éprouvés ; Hérault de Séchelles entre autres, émule de Lepelletier de Saint-Fargeau et d’Anacharsis Clootz, faisait le plus noble emploi de sa grande fortune. Les dantonistes, renvoyés devant le tribunal révolutionnaire sous l’accusation banale de complot contre la sûreté de l’État et d’intelligences royalistes avec Dumouriez, se virent adjoindre pour complice Fabre d’Églantine, poursuivi comme agioteur et faussaire ; ainsi, l’on espérait les avilir et donner le change à l’opinion publique, selon la pratique constante de cette perfide et horrible tactique : accoler des scélérats à d’honnêtes gens dans les procès révolutionnaires. Danton, prévenu à temps du péril dont il était menacé, pouvait fuir, il s’y refusa. En entrant dans la Conciergerie, il dit à l’illustre Thomas Payne, aussi prisonnier : « — Ce que tu as fait pour le bonheur et la liberté de ton pays, j’ai en vain essayé de le faire pour le mien ; j’ai été moins heureux que toi : l’on m’envoie à l’échafaud, j’irai gaiement. » — Puis, s’adressant à d’autres détenus qui le saluaient avec respect : « — Il y a un an que j’ai fait instituer le tribunal révolutionnaire, j’en demande pardon à Dieu et aux hommes. Ce n’était pas pour que le tribunal fût le fléau de l’humanité : c’était pour prévenir le retour des journées de septembre… Ah ! il vaut mieux être un pauvre pêcheur que de gouverner les hommes ! » — Interrogé par Fouquier-Tainville sur son nom, son âge et sa demeure, Camille répondit : « — J’ai l’âge du sans-culotte