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vais, en descendant de cheval, rendre compte de cette brillante journée au comité de salut public.

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La nuit est venue depuis longtemps. Les feux des bivacs de l’armée républicaine brillent à travers les brouillards de décembre. Elle campe sur le champ de bataille qu’elle a conquis. Le quartier général est établi dans les ruines du château de Geisberg, à demi démoli par les boulets. Une vaste grange, dépendante de la métairie de ce domaine, a été consacrée au service de l’une des ambulances de l’armée… Les blessés sont étendus sur des litières de paille et reçoivent les soins des officiers de santé à la clarté des falots. Parfois l’on entend les gémissements étouffés qu’arrache la douleur d’une amputation ou de l’extraction d’une balle. Souvent l’on entend le cri de Vive la république ! poussé par un patient, qui trouve dans son exaltation patriotique l’oubli de sa souffrance. À l’extrémité de la grange, une clôture de planches sépare l’aire du reste du bâtiment. Mortellement blessée par le comte de Plouernel, et d’abord amenée à l’ambulance, Victoria a été plus tard transportée dans l’espèce de réduit pratiqué à l’extrémité de la grange, le sexe de la jeune femme ayant été reconnu au moment où on allait poser le premier appareil sur sa blessure reçue en pleine poitrine. Un falot accroché à une poutre éclaire cette scène lugubre. Jean Lebrenn, aussi blessé, est agenouillé près de sa sœur, étendue sur la paille et à demi enveloppée d’une couverture. Olivier, adossé à la muraille, brisé par la douleur, cache son visage entre ses mains et peut à peine étouffer ses sanglots. Castillon, dont le mâle visage est sillonné de grosses larmes, se tient debout à quelques pas, appuyé à l’un des montants de la porte du réduit dont il est chargé d’interdire l’entrée aux autres blessés que la curiosité pourrait attirer, le bruit s’étant rapidement répandu dans l’ambulance qu’une belle jeune femme se déguisait sous l’uniforme de cavalier du troisième hussards.

La pâleur livide de Victoria, l’oppression qui pèse sur sa poitrine, ses aspirations entrecoupées, tout annonce qu’elle touche à ses derniers moments. Son frère tient convulsivement serrées dans les siennes la main de sa sœur ! il sent cette main devenir de plus en plus froide.

— Adieu, Olivier… — dit Victoria d’une voix affaiblie, en tournant ses regards vers le jeune homme, — n’oublie pas mes dernières paroles… Aime et sers la république comme une mère ; souviens-toi