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promptitude et de sang-froid, avait complètement battu l’armée ennemie. Culbutés des hauteurs de Geisberg après un combat acharné, les Autrichiens avaient dû repasser en hâte la Lauter par le pont d’Altstadt, leur unique voie de retraite, retraite d’ailleurs effectuée en bon ordre, étant couverte par une arrière-garde imposante, protégée par de nombreuses batteries établies sur la rive gauche de la rivière.

Ce jour de décembre touchait à sa fin ; le disque rouge du soleil sans rayons allait bientôt disparaître à l’horizon, au milieu d’épaisses nuées grises chargées de neige. Saint-Just, Hoche et quelques officiers d’ordonnance se tenaient sur les hauteurs de Geisberg. De cette position l’on dominait du regard le champ de bataille, resté au pouvoir des Français et limité par le cours de la Lauter ; Hoche, à l’aide de sa lunette, distinguait le pont d’Altstadt encombré d’artillerie autrichienne, de caissons, de charrois, et vers lequel se dirigeait à son tour l’arrière-garde ennemie. À une assez grande distance de cette extrême arrière-garde, on apercevait au fond de la vallée de la Lauter un corps de cavalerie républicaine : quatre régiments de dragons, réserve que Hoche, à la fin de la bataille, avait lancée à la poursuite de l’ennemi, afin de changer en déroute sa retraite, qui ne pouvait s’opérer que par un seul passage : le pont d’Altstadt. Les escadrons français avaient donc reçu l’ordre de charger l’arrière-garde de Wurmser, de couper sa retraite, de s’emparer des trains d’équipage et de l’artillerie, de compléter enfin la brillante victoire de la journée ; Hoche, sa lunette toujours braquée sur le corps de cavalerie républicaine dont il suivait les mouvements au milieu de Ia brume qui commençait de s’élever des rives marécageuses de la rivière, témoignait d’un courroux croissant, et s’écriait :

— Il est donc fou !… que fait-il ?… Quel est le but de ces éternelles marches et contre-marches ?… Quoi ! malgré les ordres que pour la troisième fois je viens encore de lui envoyer… il laissera, sans l’inquiéter, l’arrière-garde ennemie opérer sa retraite… Il nous reste à peine un quart d’heure de jour, et depuis une heure il aurait dû charger les Autrichiens. — Puis, Hoche s’écrie avec un accent d’indignation et d’alarme, en se retournant vers Saint-Just : — Mais il faut que le général Donadieu soit un idiot ou un traître !

— Idiot ou traître… il portera la peine de son incapacité ou de sa trahison, — répond Saint-Just. Déjà, ce matin, l’évasion de cet espion m’avait inspiré des doutes sur le général Donadieu… et…

— Ah ! le misérable ! — s’écrie Hoche, — il va faire écharper notre cavalerie…