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calme défense du carré de volontaires commandé par le capitaine Martin ; l’escadron du troisième régiment de hussards, jusqu’alors en bataille derrière les bâtiments de la batterie incendiée, ne put d’abord prendre part à l’action, et pendant qu’il attendait impatiemment l’heure de la charge, le capitaine de cet escadron et son lieutenant avaient été, le premier tué, le second mis hors de combat par l’explosion d’un obus. Olivier, quoique le plus jeune sous-officier de l’escadron, jouissait déjà d’une telle influence que d’un commun accord les soldats lui ayant décerné le commandement, il jugea d’un coup d’œil prompt et sûr, lors de l’attaque du carré par l’ennemi, quelle heureuse diversion il pouvait opérer. Il ordonne aussitôt un à gauche par quatre à son escadron, tourne les bâtiments de la métairie, enveloppé d’une épaisse fumée qui dérobait à la vue des Allemands la manœuvre des hussards. Ils descendent la pente du plateau, à trois cents pas et à droite de l’endroit où les débris du régiment de cuirassiers de Gerolstein, ramenés à l’attaque par le comte de Plouernel, tentaient encore d’assaillir la batterie ; Olivier, résolu de prendre ainsi l’ennemi à revers et à dos, s’écrie gaiement en désignant du sabre les cuirassiers à ses hussards :

— Ces colosses ont des ventres de fer, pointons aux yeux… sabrons les bras ; nous ferons de ces colosses des manchots et des aveugles ! En avant !… Vive la république !

— En avant !… — répètent les hussards électrisés. — En avant !… Vive la république !

Et le bouillant jeune homme, se penchant vers Victoria qui chevauchait à ses côtés à la droite du premier peloton, lui dit avec exaltation : — Ah ! j’en avais le pressentiment, je serai tué ou je gagnerai aujourd’hui mes épaulettes… Quel avenir !… quel avenir !

— Et moi j’ai un autre pressentiment… — répond Victoria plus pâle que d’habitude, le regard fixe et distrait ; le souvenir d’Anna Bell me revient obstinément à la pensée…

— Qu’est-ce qu’Anna Bell ?

— Olivier, — répond Victoria d’une voix basse, mais solennelle et sans répondre à la question du jeune homme, — si jamais tu trahissais la république, que ma mémoire soit ton remords éternel… car je t’ai sauvé d’un lâche suicide… et je t’aurai ouvert la carrière des armes… Adieu !

— Pourquoi adieu ?

— Qui sait !… — répond Victoria, au moment où l’escadron, lancé au galop, atteignait les derniers rangs des cuirassiers de Gerolstein,