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préservé des balles par son casque, sa cuirasse et par l’épaisseur de ses bottes fortes, se dégage et, son sabre d’une main, son étendard de l’autre, se défend contre Jean Lebrenn, qui, dans l’espoir d’enlever un drapeau ennemi, s’est élancé, la baïonnette croisée, contre le géant. Celui-ci décrit autour de lui un moulinet redoutable, pare, riposte avec autant de vigueur que d’adresse et atteint grièvement d’une estocade à l’articulation du genou Jean Lebrenn, au moment où il vient de porter à son adversaire un coup de baïonnette dans le bas-ventre, juste au-dessous de sa cuirasse. Il tombe renversé. Jean Lebrenn, oubliant sa blessure, s’élance et s’empare de l’étendard. Un autre épisode se passait presque simultanément dans l’intérieur du carré : un sous-officier des cuirassiers de Gerolstein, d’une stature et d’une force presque égales à celles du porte-étendard, et qui, par un singulier hasard, n’avait été blessé non plus que sa monture en perçant les rangs des volontaires, se voyant perdu, voulait vendre chèrement sa vie, et attaquait avec furie le maréchal des logis Duchemin et ses servants, qui se hâtaient de recharger leur pièce. Duchemin, en vieux routier, s’était ingénieusement retranché en dedans et derrière l’une des roues de l’affût de Carmagnole ; cette roue le couvrait ainsi presque à mi-corps contre les coups de sabre et contre les atteintes du cheval de son adversaire, sur lequel il avait en vain déchargé son mousqueton. Aussi se défendait-il à l’aide d’un long et pesant refouloir dont il manœuvrait habilement ; il parvint à en asséner un coup violent sur le casque du cuirassier ; celui-ci chancelle sur son cheval, Duchemin redouble en s’écriant : — Tiens, bœuf allemand, tombe donc sous l’assommoir !! — En effet, le cuirassier tombe de cheval à demi assommé. Les servants de Carmagnole achèvent de la charger ; elle est, ainsi que les autres bouches à feu, mise en batterie derrière les rangs du carré faisant face à l’ennemi. Ces rangs s’ouvrent, s’écartent, l’artillerie vomit de nouveau la mitraille sur le dernier escadron du régiment de Gerolstein, réserve que le comte de Plouernel ramenait une dernière fois à la charge, mais à peine la salve d’artillerie à mitraille a-t-elle porté de nouveaux ravages dans les rangs des assaillants, que le carré d’infanterie, se reformant, continue sa fusillade aux cris de : Vive la république ! Soudain les cuirassiers, saisis d’une sorte de panique, font demi-tour et se précipitent, effarés, au galop de leurs chevaux, sur la pente déclive du mamelon et bientôt fuient à toute bride, afin de rejoindre les lignes ennemies. Cette débandade n’était pas seulement causée par le feu vif et soutenu de l’artillerie républicaine, et par l’opiniâtre et