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une aisance militaire, ajoute en se dirigeant vers la porte et désignant du regard les autres soldats d’ordonnance : — Je ne veux pas que ma première entrevue avec mon frère ait lieu en présence de nos camarades… son émotion pourrait me trahir.

— J’obéis, Victoria ! — répond tristement Olivier ; — ma surprise de rencontrer à l’armée votre frère m’a empêché de vous demander en quoi j’ai mérité les cruelles et outrageantes paroles que vous m’avez tout à l’heure adressées.

— Mon attachement pour vous, Olivier, me commande de ne vous jamais cacher la vérité, si sévère qu’elle soit ; c’est le seul moyen de vous éclairer à temps et de prévenir ainsi des entraînements dont vous n’avez peut-être pas même conscience… Nous reprendrons plus tard cet entretien ; — et, sortant du vestibule dont le pavé résonne sous ses bottines éperonnées, Victoria ajoute : — Envoyez-moi sans retard, dans la cour où je vais l’attendre, le canonnier Duchemin.

La cour qui précédait la maison commune était spacieuse ; l’on y voyait rangés les chevaux des divers cavaliers destinés au service d’ordonnance. Le brouillard se dissipait, les étoiles brillaient au ciel ; et, à la faveur de cette nuit claire et froide, Victoria, apercevant bientôt le canonnier s’avancer vers elle, fit quelques pas à sa rencontre, puis :

— J’ai désiré te parler, citoyen, pour te donner des renseignements importants au sujet de cet homme et de cet enfant, que toi et un volontaire vous venez d’amener prisonniers au quartier général.

— Ce sont deux espions de Pitt et de Cobourg tombés dans nos avant-postes, et arrêtés par un Parisien en faction en avant de nos grand’gardes.

— Ce volontaire se nomme Jean Lebrenn ?

— Oui ; est-ce que tu le connais, mon brave hussard ?

— Beaucoup… Mais voici le renseignement en question : L’homme arrêté est un prêtre français, un jésuite.

— Un jésuite !… Ah ! double brigand de calottin !

— Il se nomme l’abbé Morlet. Il est très-urgent que tu ailles à l’instant instruire de cette circonstance Jean Lebrenn, témoin sans doute de l’interrogatoire que subit à cette heure le révérend ?

— L’interrogateur donnera sa langue aux chiens, si le calottin répond dans le charabia qu’il nous dégoisait tout à l’heure, afin de dépister les soupçons.

— Se voyant reconnu, il ne persistera pas sans doute dans sa ruse… Va donc, mon camarade, apprendre à Jean Lebrenn que