Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 16.djvu/49

Cette page n’a pas encore été corrigée

ennemis, dont une centaine tués, blessés ou engagés sous leurs chevaux morts, sont restés çà et là sur la pente du mamelon. Les cuirassiers, raffermis, exaltés par le désir de venger leur premier échec se sont reformés en décrivant un assez grand circuit dans la plaine ; puis, revenant à fond de train, non plus développant leur front, mais en colonne, enlevés, entraînés par l’exemple du grand-duc qui s’élance à leur tête et, par forfanterie chevaleresque, a ordonné à son porte-étendard, colosse haut de six pieds, de chevaucher à ses côtés au milieu de ses gentilshommes ; les cuirassiers gravissent de nouveau la pente du mamelon, courbés sur l’encolure de leurs chevaux, dont ils labourent les flancs à coups d’éperon ; ils reçoivent, sans s’ébranler des pertes énormes qu’ils subissent, une nouvelle décharge de mitraille, presque à bout portant, et bientôt ils vont, dans l’impétuosité de leur élan, atteindre le plateau du mamelon, précédés du prince, du porte-étendard et de quelques gentilshommes. Les assaillants sont attendus avec un calme intrépide par les deux compagnies de volontaires, formées en carré au centre duquel ont été retirées les bouches à feu que les canonniers rechargent précipitamment. Le premier des trois rangs formant le carré a un genou en terre, et, ainsi que les deux autres, il reste immobile, le fusil épaulé, en joue et prêt à tirer au commandement du capitaine Martin. Il y eut un moment de silence solennel parmi les volontaires, lorsqu’ils virent d’abord apparaître à trente-cinq pas environ, achevant de gravir la pente du plateau, le grand-duc accosté d’un colosse casqué, cuirassé, portant l’étendard du régiment et accompagné de quelques officiers.

Castillon, placé au second rang du carré, ayant devant lui Jean Lebrenn, un genou en terre, et derrière lui le volontaire novice Duresnel, dit au premier à voix-basse :

— L’ami Jean, cotisons-nous pour déquiller ce tambour-major à cheval qui porte le drapeau… ça va-t-il ?

— Ça va… vise l’homme, je vise le cheval.

— Citoyens, je vise aussi au géant, — dit Duresnel de sa voix flûtée, — et si vous le permettez, je suis de votre écot ?

— Pardieu ! quand il y en a pour deux, il y en a pour trois ! — répond Castillon.

En ce moment le capitaine Martin voit derrière le grand-duc, son porte-étendard et ses officiers qui venaient d’aborder le plateau, poindre à mi-corps le premier rang des cuirassiers ; le capitaine Martin attend que, par un dernier effort de leurs chevaux, les cavaliers aient gagné le terre-plein du mamelon… alors, et seulement alors,