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allemande ; ces cuirassiers offraient le type parfait du soldat monarchique, instrument passif de la volonté du maître, également prêts à sabrer leur père, leur frère, leur mère, leurs concitoyens, ou à marcher à l’ennemi avec la même inexorable indifférence… tuant, parce qu’on leur dit : Tue ! … se battant, parce qu’on leur dit : En avant ! et ignorant pour qui ou pour quoi ils se battent, combattant bravement, mais sans passion, sans entraînement ; en un mot, sans IDÉE… puis, l’action engagée, obéissant uniquement à l’instinct meurtrier de la bête que développe et surexcite jusqu’à la férocité la guerre sans principe, sans IDÉAL. Cette espèce de soldats sait obéir, tuer, mourir… rien de plus. Ils peuvent, grâce à leur nombre, servir temporairement l’oppression ou la conquête ; mais ils sont et seront toujours radicalement incapables de ces prodiges de valeur, de ces miracles de patriotisme qui ont souvent rendu vainqueurs du nombre et de la tactique nos soldats républicains mal armés, presque sans pain ni souliers, mais qui se battent et savent qu’ils se battent pour défendre le sol, le foyer, l’indépendance nationale, la liberté, la révolution !

Peu de temps avant que le général Wurmser n’ait envoyé l’un de ses aides de camp ordonner aux cuirassiers de Gerolstein d’enlever l’une des batteries françaises qui écharpaient son aile droite, la position, de l’armée autrichienne commençait de devenir très-critique sur d’autres points. Sa cavalerie, ramenée par la brillante charge des escadrons de la division Férino, venait à peine de reformer ses débris derrière les carrés d’infanterie ennemie, lorsque Hoche, lançant sur eux ses colonnes d’attaque, les aborda de front à la baïonnette, les culbuta après une résistance acharnée et resta maître des premières pentes du plateau de Geisberg, sur la hauteur duquel se massait la réserve de Wurmser, dernier corps qu’il eût encore à engager. Le général Vernet, vieux soldat républicain à cheveux blancs, mettant pied à terre malgré ses soixante-douze ans, marchait à la tête de sa division, accompagné de Saint-Just, et gravissait la pente du plateau afin de s’emparer du château de Geisberg qui le couronnait.

Les cuirassiers de Gerolstein n’avaient pas jusqu’alors reçu l’ordre de s’ébranler. Ils restaient en réserve, couvert et masqués par un pli de terrain. À leur droite se tenait le grand-duc ; robuste, de haute stature, plein de vigueur et de feu, d’une physionomie hautaine et dure que découvrait à demi la visière de son casque, surmonté d’une riche aigrette de plumes de héron, il portait l’uniforme de son régiment de prédilection. Les gentilshommes et les