L’ouvrier entre ; c’est lui qui, le 27, portait la parole au nom de ses camarades de la rue Saint-Denis ; sa tête est enveloppée d’un bandeau ensanglanté ; il est aussi blessé à la jambe et s’appuie sur le fourreau d’un sabre de cavalerie lui servant de canne.
L’OUVRIER. — Bonsoir, monsieur Lebrenn, j’ai appris que votre fils était blessé… je venais savoir comment il va.
MADAME LEBRENN. — Nous sommes bien touchés de votre souvenir, monsieur ; l’état de mon fils ne nous inspire plus d’inquiétude… le voilà… Veuillez vous asseoir à ma place auprès de son lit, car vous êtes aussi blessé, mais pas grièvement, je l’espère ?
L’OUVRIER. — Non, madame… un coup de sabre sur la tête et un coup de baïonnette à la jambe ; dans peu de jours, il n’y paraîtra plus.
MARIK, tendant la main à l’ouvrier. — Merci, merci, monsieur, d’avoir songé à moi…
L’OUVRIER, serrant cordialement la main de Marik. — C’est tout simple… monsieur Marik… seulement je suis fâché de revenir seul vous voir, car les deux camarades qui m’accompagnaient ici… l’autre soir…
JEAN LEBRENN, vivement. — Ils sont aussi blessés…
L’OUVRIER, soupirant. — Ils sont morts, monsieur Lebrenn…
MADAME LEBRENN. — Encore des martyrs, encore ! Ah ! les rois !!! que de sang ils font couler ! que de deuils ils causent !!!
HÉNORY. — Avaient-ils des femmes, des enfants ? S’il en est ainsi, comptez sur nous !
L’OUVRIER. — Vous êtes bien bonne, madame… mais heureusement mes camarades n’avaient ni femme ni enfants ; ils étaient comme moi, garçons…
JEAN LEBRENN. — Ne laissent-ils pas de vieux parents ?
L’OUVRIER. — Non, monsieur Lebrenn, l’un était un enfant trouvé, l’autre avait perdu son père et sa mère depuis longtemps.
JEAN LEBRENN, à l’ouvrier. — Tenez, j’ai un poids sur le cœur. Je vous en prie, répondez-moi sincèrement. Vous m’avez demandé conseil l’autre jour au nom de vos camarades ; je vous ai engagé à prendre les armes, sans vous cacher que toutes nos espérances pourraient ne pas se réaliser… Regrettez-vous d’avoir suivi mon conseil ? Me reprochez-vous de vous l’avoir donné ?
L’OUVRIER, vivement. — Vous le reprocher, monsieur Lebrenn ! lorsque vous vous êtes battu si bravement à notre tête ! lorsque votre fils est blessé, lorsque votre dame et votre belle-fille ont, pendant trois