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raison… je lui raconterai les belles journées de la révolution… les guerres de la république où j’étais soldat avec son grand-père, et… » (La jeune femme ne peut achever, les larmes étouffant sa voix.)

MARIK, d’une voix oppressée. — Et où est-il mort ?

JEAN LEBRENN. — À mes côtés, peu de temps après que tu as été blessé. La troupe, repoussée à sa première attaque contre notre barricade, étant revenue en force considérable, nous nous replions en combattant du côté du marché des Innocents Castillon reçoit une balle dans la poitrine… il tombe… je me précipite vers lui… je le soutiens dans mes bras : — « J’ai mon compte, l’ami Jean !… Adieu… ça ira, — me dit-il, et sa figura rayonnant soudain, il ajoute : — Belle mort !! Vive la république !! » — Il expira au moment où la troupe s’avançait, nous chargeant à la baïonnette, il me fallut laisser là son pauvre corps… (Il porte la main à ses yeux.)

MARTIN. — Il aura été jeté dans la fosse commune du jardin du Louvre… comme tant d’autres prolétaires, héros inconnus, martyrs de la plus sainte des causes !

MARIK. — Et Duchemin ?

LE GÉNÉRAL OLIVIER. — Malgré son âge, il ne m’avait pas quitté pendant la journée du 27 ; son exaltation patriotique le rajeunissait et doublait ses forces… Nous rentrions chez moi le soir, et le 28, au point du jour, nous rejoignions, rue des Prouvaires, des citoyens défendant une barricade. Le colonel, qui commandait la troupe, désespérant d’enlever cette barricade, essaye de la démolir à coups de canon… Une pièce est mise en batterie, et à sa première salve, un boulet ricoche et vient broyer la cuisse de Duchemin, il tombe en criant avec enthousiasme, ainsi qu’autrefois nos soldats en mourant : — Vive la république ! — Puis, s’efforçant de sourire, Duchemin me dit : — « Je les aimais tant, ces amours de bouches à feu !… voyez comme elles me traitent, mon général. C’est égal, je meurs en vieux canonnier républicain. »

JEAN LEBRENN. — Ah ! je n’oublierai jamais qu’en 92 j’ai vu Duchemin s’enrôler pour marcher à la frontière, et offrir à la patrie tout ce qu’il possédait, sa vie et ses deux chevaux, qu’il attelait à une voiture de place dont il était cocher…

La servante entre en ce moment, et s’adressant à Jean Lebrenn : — Monsieur, l’un des ouvriers qui s’est présenté il y a quatre jours, demande des nouvelles de M. Marik.

JEAN LEBRENN. — Priez-le de venir.