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on peut se donner un coup de main dans la bagarre… Il paraît que ça va chauffer… Nom d’une pipe !… quelle canonnade… quelle canonnade !… ça ne s’arrête pas plus que nos coups de marteau quand nous forgions sur l’enclume dans notre atelier de la rue d’Anjou… Eh bien ! foi d’homme ! l’ami Jean… la guerre finie, Pitt et Cobourg éreintés… la république victorieuse… je serai doublement content de quitter la giberne pour le tablier de cuir et le fusil pour le marteau !… Mais quelle canonnade !… — Et riant, Castillon ajoute : — C’est le camarade Duchemin qui, en ce moment, doit en faire cracher des litrons de prunes à sa Carmagnole… son amour de bouche à feu… comme il l’appelle. Je vas tâcher de l’apercevoir pardessus le mur.

Et Castillon, se guindant sur la pointe des pieds, se hisse suffisamment au-dessus du mur de pierres sèches pour pouvoir jeter un coup d’œil sur les canons encore à demi enveloppés de la fumée produite par leurs dernières salves. Il voit Duchemin, un genou en terre, qui, après avoir examiné une batterie ennemie à l’aide d’une petite lorgnette de poche, s’occupe de rectifier le tir de sa pièce déjà pointée par le brigadier, tandis que les sergents de droite et de gauche, armés de leur écouvillon, de leur refouloir, de leur levier, sont immobiles aux côtés de l’affût. L’un d’eux tient la lance à feu qui, au commandement, doit enflammer l’étoupille. Les cinq autres pièces, rangées parallèlement à Carmagnole, sont également entourées de leurs servants et pointées en ce moment par des sous-officiers. Le capitaine d’artillerie et ses lieutenants sont à cheval et surveillent la manœuvre. Au loin, la ligne des Autrichiens et les colonnes françaises disparaissent presque complètement au milieu de la fumée de la canonnade engagée de toutes parts. Cependant les pointeurs de la batterie française ont distingué une masse d’infanterie déjà si fortement entamée, ébranlée par leur tir nourri et d’une grande justesse, que le général ennemi a fait prendre position à quatre obusiers et à quatre pièces de six destinés à éteindre le feu de l’artillerie républicaine. Aussi, Duchemin, après avoir rectifié soigneusement le tir de Carmagnole, se redresse et, avisant, grâce à sa lorgnette, le premier obusier de gauche de la batterie ennemie, il murmure sous sa large moustache :

— Ah ! c’est toi qui prétends faire taire Carmagnole ? bigre de nez camard ! (Ingénieuse allusion à la structure courte et véritablement camuse des obusiers.) Je vas te prouver, moi, que tu n’es pas fichu pour couper la parole à mes amours.