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défense de notre barricade, nous avons été séparés par les hasards du combat. Je me rendis d’abord sur la place de l’Hôtel-de-Ville : il était occupé depuis le point du jour par quelques patriotes. Une masse de citoyens, la plupart sans armes, encombraient la place de Grève ; deux bataillons de la garde débouchent par le pont Notre-Dame ; quatre pièces d’artillerie sont démasquées, et elles tirent à mitraille dans la masse, y font une sanglante trouée ; ce fut une boucherie horrible ; des femmes, des enfants ont roulé à mes pieds.

MADAME LEBRENN. — Mon Dieu, que de sang font couler ces rois !

MARTIN. — Ce carnage exaspère les hommes capables de se battre ; mais les armes leur manquent ; ils se précipitent sur la grille de l’Hôtel de Ville, et je ne le croirais pas, si je ne l’avais vu, ils descellent cette grille par un effort désespéré, se font des armes de ses barreaux, et les plus intrépides de ces citoyens se ruent sur la troupe ; ils sont fusillés à bout portant. La garde avance, la mitraille pleut de nouveau, la place de Grève, pavée de cadavres, ruisselle de sang, j’en avais jusqu’aux chevilles ; l’Hôtel de Ville reste au pouvoir des troupes royales. D’abord emporté par le reflux de la foule, je parviens à gagner le pont suspendu qui n’était pas alors occupé par la troupe ; je rejoins une centaine de citoyens armés, qui affluent du passage Dauphiné et du faubourg Saint-Jacques, engagent en tirailleurs une vive fusillade avec les bataillons de la garde, demeurés maîtres de la place de Grève. Nous tirions, embusqués derrière le parapet du quai. Dans cette escarmouche, je rencontrai pour la première fois cet élève de l’École polytechnique qui a été l’un des héros des trois jours, le jeune Charras ; il n’avait alors d’autre arme que son épée ; mais il conseillait et dirigeait merveilleusement le feu d’un groupe de patriotes qui s’étaient mis spontanément sous ses ordres. L’un d’eux tombe mort à ses côtés ; j’étais, moi, à dix pas de Charras ; il saisit le fusil du mort, le fouille, et s’écrie : — Sacredieu ! plus de cartouches ! — J’en ai, moi, des cartouches, dit un gamin de douze ans à peine, et impassible au milieu de la fusillade. — Si vous voulez, ajoute-t-il, s’adressant à Charras, je vous donnerai la moitié de mes cartouches ; mais vous me prêterez votre fusil pour que je tire ma part de cartouches.

MARIK, souriant. — Brave enfant ! il n’y a au monde que le gamin de Paris pour avoir une telle pensée.

MARTIN. — Charras accepte le marché, laissant scrupuleusement le gamin tirer sa part de cartouches, en appuyant le canon de son fusil sur le rebord du parapet. À ce moment, on tente une nouvelle