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et puis là, sur cette petite table, le brave Castillon faisant des cartouches ; le tableau est complet : véritable intérieur de la maison d’un patriote.

DUCHEMIN, après avoir salué militairement la compagnie. — Des cartouches ! j’en suis ; en ma qualité d’ancien artilleur, je vais te donner un coup de main, Castillon ; mais pas gratis, car j’ai bien du pain (montrant son mousqueton), mais rien pour mettre avec.

CASTILLON. — Sois tranquille ; pour mettre avec, je te régalerai d’une douzaine de ces bonnes petites prunes (montrant les balles), et tu t’en lécheras les moustaches, mon vieux.

DUCHEMIN. — Je crois bien, en déchirant la cartouche. (Il s’assied à côté de Castillon et l’aide dans son travail.)

JEAN LEBRENN, cordialement au général. — Enfin, vous voilà : nos amis et moi nous commencions à être surpris, presque inquiets, de ne pas vous avoir encore vu depuis la promulgation des ordonnances. Eh bien, qu’en dites-vous ?

LE GÉNÉRAL. — Je dis qu’avant deux jours les Bourbons seront chassés de France. Il est impossible que l’armée tienne longtemps contre Paris soulevé. M. de Polignac est fou ; il a osé engager la lutte, et il n’y a pas douze mille hommes de troupes à Paris.

MARTIN. — Je crains que vous soyez dans l’erreur, mon cher général.

LE GÉNÉRAL. — Soyez certain de ce que je vous dis ; j’ai rencontré ce matin un ancien camarade de Waterloo, un colonel, aide de camp de Marmont, et il m’a affirmé que le maréchal était désespéré, non-seulement d’être chargé du commandement des troupes pour défendre le coup d’État, qu’il trouve stupide, mais de n’avoir pas le quart des forces nécessaires pour résister à l’insurrection, car l’effectif des troupes s’élève à peine à douze mille hommes. Ce fait m’a été, depuis, confirmé par plusieurs anciens officiers supérieurs de l’empire qui ont conservé quelques relations au ministère de la guerre. Je les quitte à l’instant, désolé, d’ailleurs, de leur aveuglement.

JEAN LEBRENN. — Songeraient-ils à un mouvement bonapartiste ?

LE GÉNÉRAL OLIVIER. — Ils y songent sérieusement ; ils m’avaient engagé à me rendre à une réunion chez le colonel Gourgaud, où j’ai rencontré Dumoulin, Dufays, Bacheville, Clavel et autres anciens camarades. En vain je me suis efforcé de les convaincre qu’il n’y avait plus d’empire possible, l’empereur étant mort, que toute tentative de ressusciter de notre temps cette époque exceptionnelle par la gloire, par ses désastres et par son despotisme, serait insensée, qu’il fallait nous rallier à la république ; je me suis trouvé seul de