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aux pieds de Bonaparte et le suppliant de la sauver ? de quoi ? des stupides terreurs et des fantômes qu’elle se créait à elle-même ?

MARTIN. — Duresnel a raison ; il reste le roi de Rome et les vieux de la vieille, les grognards y songent encore. Béranger a tant popularisé l’empire !

JEAN LEBRENN. — Oui, en évoquant les gloires de l’empire il s’en est fait une arme contre les Bourbons et en cela il a rendu certes un grand service à la cause de la liberté ; mais malheureusement le grand chansonnier n’a pas songé que l’arme était à deux tranchants ; il n’a rappelé que les gloires de l’empire laissant dans l’ombre son despotisme. Il y a peut-être là un danger, non que je craigne, je le répète, un succès bonapartiste à cette heure ; mais la jeune génération qui ne connaît l’empire que par les chansons de Béranger peut laisser ainsi pervertir, fausser son jugement sur cette époque.

CASTILLON. — Il est certain que le général Olivier est à Paris car il y a quatre ou cinq jours mon vieux camarade Duchemin qui était venu de Touraine avec le général est venu me voir et…

DURESNEL. — L’ancien adorateur de Carmagnole, cet amour de bouche à feu n’est donc plus aux Invalides, mon brave Castillon ?

CASTILLON. — Non, monsieur Duresnel, il y a un an qu’Olivier lui a proposé d’être le surveillant de sa propriété ; le vieux Duchemin qui s’ennuyait en compagnie des manchots et des béquillards, vu qu’il est encore vert comme un poireau malgré ses soixante-neuf ans, a accepté avec joie la proposition du général et… Mais justement les voilà tous deux.

Le général Olivier entre accompagné de l’ancien canonnier à cheval de l’armée de Rhin et Moselle. Les cheveux et les longues moustaches de Duchemin sont d’un blanc de neige ; il est encore alerte et porte sous le bras un vieux mousqueton rouillé. Les chagrins de l’exil dont il a pendant si longtemps souffert ont sillonné de rides précoces le visage d’Olivier et rendu sa chevelure presque aussi blanche que celle de son compagnon quoique le général n’ait environ que cinquante-cinq ans.


LE GÉNÉRAL OLIVIER, tendant respectueusement la main à Charlotte. — Bonsoir ma chère madame Lebrenn. (Saluant la femme de Marik.) Bonsoir madame Hénory. (Remarquant qu’elles préparent de la charpie.) Oh ! oh ! Vous voilà, ainsi que dirait l’ami Lebrenn, occupées comme des Gauloises de l’ancien temps la veille d’un combat, si tant est que la charpie fût connue en Gaule, ce que je ne sais, vu mon ignorance ;