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le soutien duquel il a dépensé des sommes considérables, grâce à sa grande fortune. Martin, compromis dans la conspiration de Béfort, et condamné à mort par contumace, s’est réfugié en Angleterre, où il a résidé quatre ans, et n’est revenu en France qu’après l’amnistie — Martin et Duresnel, quoique le premier dépasse la soixantaine, et que le second en approche, ont conservé toute l’ardeur civique de leur jeunesse.

MARTIN, déposant son fusil. — Bonsoir, madame Lebrenn ; vous vous occupez de faire de la charpie, c’est une bonne précaution, car demain, au point du jour, ça chauffera, si je ne me trompe. (S’adressant à la femme de Marik Lebrenn.) Bonsoir, madame Hénory. (Souriant et montrant le berceau.) Votre petit Sacrovir pourra bien entendre demain une musique qui ne sera pas aussi agréable à son oreille que le chant consacré : Do, do, l’enfant, do

HÉNORY, souriant. — Il est bon que mon fils s’habitue jeune à cette musique-là, monsieur Martin ; peut-être devra-t-il l’entendre souvent, car je veux faire de lui un bon républicain, comme son père et son grand-père.


DURESNEL, riant. — De sorte que ce garçon-là, madame Hénory, familiarisé ainsi dès le berceau avec les coups de fusil, ne sera pas comme votre serviteur, lequel, à la bataille de Wissembourg, où il se trouvait avec Martin et votre beau-père, avait tant de peur d’avoir peur. Vous en souvenez-vous, mon cher Lebrenn ?

JEAN LEBRENN. — Mais depuis, vous avez crânement pris votre revanche, mon ami, et le courage d’action et le courage civil ne vous ont jamais fait défaut. Ah çà, quelles nouvelles apportez-vous ?

DURESNEL. — Je sors du bureau du National ; il y avait une réunion de journalistes de l’opposition ; et, le croiriez-vous ? Armand Carrel, malgré son intrépidité proverbiale, regarde toute tentative d’insurrection comme insensée. Soldat, il ne peut admettre qu’une population indisciplinée puisse triompher d’une armée.

MARIK. — Quel est l’avis de M. Thiers ?

DURESNEL. — Il est de l’opinion de Carrel plus que Carrel lui-même, et déclare qu’il ne faut point sortir des limites de la résistance légale. Le nom et la personne de Charles X doivent être mis hors de cause ; le ministère est seul responsable ; c’est donc le ministère seul qu’il faut attaquer. Telle est l’opinion de M. Thiers.

JEAN LEBRENN. — Attaquer le ministère ! Et comment ?

DURESNEL. — En refusant l’impôt ; ce n’est pas plus difficile que cela.