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JEAN LEBRENN. — Le courage du général est au-dessus de tout soupçon ; mais son manque de décision peut avoir des conséquences désastreuses ; ainsi, depuis dix ans, il pousse à la république, c’est le mot d’ordre des ventes les plus actives et les plus ardentes de la charbonnerie ; le moment est venu de passer aujourd’hui de la théorie à l’action ; il hésite, il recule.

MADAME LEBRENN. — Et pourtant sa popularité est telle qu’il pourrait prétendre à la présidence de la république.

JEAN LEBRENN. — Évidemment La Fayette serait un homme de transition. Nos amis lui ont déclaré aujourd’hui que, le cas échéant, l’on comptait sur lui pour la présidence, dans le cas où la république serait proclamée.

MARIK. — Qu’a-t-il répondu, mon père ?

JEAN LEBRENN. — Qu’il n’avait nulle ambition, qu’il fallait voir les événements se dessiner.

HÉNORY. — Était-ce vrai ? ce refus ne cachait-il aucune arrière-pensée ?

JEAN LEBRENN. — La Fayette est sincère, ma chère Hénory, et il ne l’est pas. Ainsi, il est impossible que depuis quinze ans qu’il conspire contre les Bourbons, il n’ait pas rêvé la présidence de la république, qui flatterait son patriotique orgueil ; mais, par scrupule d’honnête homme, il craindrait, en acceptant ce poste, de paraître avoir conspiré contre les Bourbons dans l’unique intérêt de son ambition.

MADAME LEBRENN. — Faut-il donc que les qualités mêmes de certains hommes soient funestes à leur cause !

JEAN LEBRENN. — Il n’est que trop vrai, Charlotte, car La Fayette, en acceptant la présidence de la république, lui rallierait en immense majorité le peuple et la bourgeoisie ; tandis que, faute d’un nom entouré d’une grande popularité, l’établissement de la république peut rencontrer des obstacles très-difficiles à vaincre.

En ce moment entrent le peintre de batailles Martin, l’ancien commandant du bataillon des volontaires parisiens, et Duresnel, autrefois soldat dans le bataillon, lors de l’attaque des lignes de Wissembourg ; tous deux sont armés de fusils de chasse et portent des munitions dans leur carnier. Martin et Duresnel, chefs de vente dans la charbonnerie républicaine, ont pris part à plusieurs des conspirations dont a été suivi le retour des Bourbons. Duresnel a subi trois ans de prison, à la suite d’une condamnation pour délit de presse, en sa qualité de propriétaire-gérant d’un journal libéral, pour