Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 16.djvu/351

Cette page n’a pas encore été corrigée

berceau, où dort Sacrovir, le petit-fils de Jean Lebrenn, est placé près d’Hénory.

MADAME LEBRENN. — Ah ! mes enfants, en présence des événements qui se passent, et surtout de ceux qui se préparent, j’éprouve cette émotion grave, presque solennelle, que je ressentais dans ma jeunesse, lors des grandes journées de la révolution, car j’ai assisté à toutes, depuis celle du 14 juillet, prise de la Bastille, où votre père a été blessé, jusqu’à celle du 9 thermidor, où il a pu heureusement échapper à l’échafaud qui l’attendait comme tant d’autres vaillants patriotes, membres de la commune.

HÉNORY. — Terribles et glorieux temps, ma mère, que ces temps-là ! J’aurais voulu vivre à cette époque mémorable… (à son mari) à condition que tu y eusses vécu, Marik.

MARIK. — Ce désir de ta part est légitime, Hénory ; car, par ton courage, par la fermeté de ta voix républicaine, tu étais, ainsi que vous, ma mère, digne de vivre en ces temps héroïques.

MADAME LEBRENN. — Le caractère de ma chère fille est fortement trempé, je ne crains pas pour elle l’épreuve qui l’attend peut-être.

HÉNORY. — Je tâcherai, ma mère, de mériter vos éloges, si l’on se bat demain.

CASTILLON. — Si l’on se bat ! J’espère bien, nom d’un nom ! qu’il n’y aura pas de si, et qu’on se battra, madame Hénory. Ces cartouches ne seront pas perdues ! Nous ferons nos frais, et (fredonnant) ça ira, ça ira. Ce n’est pas dire que ces coups de fusil que je mitonne, je n’aimerais pas mieux, au lieu de les tirer sur des Français, après tout, les tirer sur des Autrichiens, comme au temps de l’armée de Rhin et Moselle, au cri de : Vive la république ! Mais à qui la faute ? à ce tas de Charles X et de Polignac ; aussi, pour me consoler, je crierai en tirant : Vive la république ! car elle n’est pas morte, elle vit dans les cœurs des vieux patriotes de 93.

MARIK. — Et elle vit aussi dans le cœur des hommes de mon âge, mon brave Castillon ; ceux-là brûlent de la servir comme leurs pères.

CASTILLON. — Et tu la serviras, mon garçon, aussi vrai que je t’ai porté tout petit dans mes bras, car, cette fois-ci, nous l’aurons ! elle ne sera pas escamotée comme aux Cent-Jours. Ah ! si Napoléon avait voulu, en 1815…

MARIK. — La France, l’Europe serait aujourd’hui républicaine.

MADAME LEBRENN. — Ce qu’il y a de plus à redouter aujourd’hui, mes enfants, selon votre père… et sa longue expérience des révolutions