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d’actes aussi graves, et d’ailleurs Napoléon ne se résignerait jamais à déchoir volontairement à ce point de servir la république comme général !

JEAN LEBRENN. — Déchoir ! Ah ! jamais il n’aurait paru plus grand aux yeux du monde et de l’histoire !

Castillon et Duchemin entrent dans le salon. Le premier, vêtu en ouvrier, est ceint de son tablier de cuir, noirci par la forge ; Duchemin, dont les moustaches sont devenues toutes blanches, porte l’uniforme des vétérans ; il a été incorporé dans ce corps après la campagne de Russie, où il a servi comme maréchal des logis chef d’artillerie dans la garde impériale.

JEAN LEBRENN, vivement. — Eh bien ! mes amis, quelles nouvelles des faubourgs ?

CASTILLON. — Le faubourg Antoine écume de rage, les fédérés demandent des armes à grands cris pour aller se battre à la barrière de la Villette, que l’on dit menacée par les Prussiens, de même qu’ils en demandaient depuis trois mois, des armes, pour marcher à la frontière. — Des fusils ! ça brûle ! votre empereur ne vous en donnera jamais, il se défie trop de vous, mes enfants, — leur ai-je répondu ; il n’y a que la république qui ose confier au peuple des fusils et des canons, comme au temps des sections ! Ah dame ! mes enfants, en ce temps-là, foi de vieux sans-culotte, moi qui vous parle, j’ai… (Il s’interrompt, et s’adressant au général Olivier, qu’il examine depuis quelques moments avec une attention croissante.) Ah ça, je n’ai pas la berlue, et, si je ne me trompe, c’est…

JEAN LEBRENN, souriant. — C’est bien lui, Olivier, notre ancien apprenti, mon vieux camarade.

CASTILLON, au général Olivier. — Ah ! c’est toi, mon gars ? Eh bien, il paraît, à ce que j’ai lu dans les journaux, que tu es devenu général ? Ah ça, il n’y a pas d’affront, car tu es brave comme un ancien soldat de la république ; mais j’ai lu aussi, et voilà ce qui, foi d’homme ! ferait rire une poule, j’ai lu que tu étais devenu comte !!! S’il est possible ! (Pouffant de rire.) Toi, comte ! un ex-galopin qui manœuvrait le soufflet de notre forge ! et à qui j’ai appris la romance de… (Il fredonne.) Ah ! ça ira, ça ira, les aristocrates à la lanterne ! Veux-tu te cacher ! toi, comte ! C’est donc pour ça qu’en brumaire, la dernière fois que je t’ai vu, tu faisais déjà tant le marquis, hein, mon gars ? 


LE GÉNÉRAL OLIVIER, souriant tristement, et tendant cordialement la main à Castillon. — Va, moque-toi de moi, tu en as le droit, mon