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salut de la France, et il va être forcé à une seconde abdication !

Le peintre Martin, l’ancien capitaine au bataillon des volontaires parisiens lors de la bataille de Wissembourg, l’ancien membre des Cinq-Cents, entre chez Jean Lebrenn.

MARTIN, vivement, et au seuil de la porte. — Eh ! mon cher ami, tout espoir est perdu, nos amis viennent de voir Carnot, et… (S’interrompant à l’aspect du général Olivier.) Mais, pardon, je…

JEAN LEBRENN. — Vous pouvez parler en toute confiance devant le général Olivier, notre ancien camarade de l’armée de Rhin et Moselle.

MARTIN. — Je ne vous reconnaissais pas, général, je ne vous ai pas revu depuis les journées de brumaire. (Souriant.) Vous veniez, soi-disant, me commander un tableau ; mais je crois que votre visite s’adressait bien moins au peintre qu’au républicain du conseil des Cinq-Cents.

LE GÉNÉRAL OLIVIER. — Ah ! j’étais alors fanatique et séide de Bonaparte.

MARTIN. — Et maintenant ?…

JEAN LEBRENN. — Les yeux d’Olivier se sont ouverts.

LE GÉNÉRAL OLIVIER. — Trop tard ! trop tard !

JEAN LEBRENN. — Eh bien, mon cher Martin, et Carnot ?

MARTIN. — Tout espoir est perdu, mon cher ami, ainsi que je vous le disais en entrant. Carnot désespère de la situation, ou plutôt il ne la comprend pas. Lucien Bonaparte la comprend mieux. L’on dirait qu’il veut se faire pardonner sa complicité de brumaire ; mais il ne propose que des demi-mesures.

JEAN LEBRENN. — Enfin, que s’est-il passé ?

MARTIN. — Nos amis, ainsi qu’il était convenu, sont allés trouver Carnot au nom du parti républicain, et lui ont dit ceci : « Vous avez été membre du comité de salut public, vous connaissez donc mieux que personne les prodigieuses ressources révolutionnaires de la France et quel est son irrésistible élan lorsque la foi, l’idée politique la soulève en masse. Si l’on prend des mesures promptes, énergiques, rien n’est encore désespéré. L’ennemi, trompé par les bruits exagérés de nos pertes à Waterloo, s’est avancé sans précaution jusqu’au cœur du pays. Blücher a commis la folle témérité de se séparer de Wellington ; il a passé la Seine et se trouve seul avec les Prussiens sur la rive gauche ; les Russes et les Autrichiens sont à plus de vingt journées de marche de la capitale. Quatre-vingt-quinze mille hommes d’infanterie, vingt-cinq mille