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la main au général, qui la lui serre cordialement.) Ne parlons plus du passé ; j’ai toujours, malgré vos erreurs, conservé pour vous un grand fonds d’attachement. Victoria vous aimait tant !

LE GÉNÉRAL OLIVIER. — Ah ! combien étaient justes ses prévisions, lorsqu’elle me disait : « Prends garde, tu aimes la guerre pour la guerre, pour les distinctions, les honneurs, les profits qu’elle procure dans les monarchies. Tu railles la mâle simplicité des récompenses républicaines ; tu rêves ces titres, ces richesses, ces faveurs qui sont, aux mains des rois, autant de moyens de corrompre les hommes, afin de les asservir plus sûrement. »

JEAN LEBRENN. — « C’est avec des hochets que l’on mène les hommes, » — a dit l’empereur votre maître.

LE GÉNÉRAL OLIVIER. — Il n’est que trop vrai. Moi et tant d’autres nous sommes laissé séduire par cette amorce ! J’ai sollicité le titre de comte, des ordres de chevalerie, une dotation, aussi, pour soutenir l’empire, j’aurais fusillé père, mère, amis ; et, la restauration venue, j’ai fait comme presque tous les maréchaux et tant de généraux. Oui, afin de conserver mon grade, mon titre, mes croix, ma dotation, j’ai renié mon passé, j’ai servi les Bourbons, que je méprisais. J’avais beau me dire : — Ce ne sont pas eux que je sers, c’est la France. — Cela n’était pas vrai ! la France n’avait pas besoin de mes services, la paix était assurée pour longtemps. Comblé des bienfaits de l’empereur, m’eût-on retiré ma dotation, il me restait encore une large aisance, lors même, et cela était presque impossible, que l’on m’eût rayé des contrôles de l’armée ! Mais non, j’étais devenu servile et courtisan, j’avais respiré l’air des cours ; je ne pouvais plus vivre ailleurs ; aussi, j’ai renié la glorieuse cocarde de la république et de l’empire, j’ai pris la cocarde blanche, j’ai crié : Vive le roi ! j’ai été à la messe, aux processions, j’ai sollicité la croix de Saint-Louis ; j’ai dévoré les mépris transparents dont les émigrés nous souffletaient lorsqu’ils nous voyaient à la cour, inclinés devant leurs princes ; mépris mérités… les émigrés restaient fidèles à leur cause, nous étions des vendus, des apostats, et plus tard, après le 20 mars, nous devenions des traîtres ! Nous avions librement juré fidélité aux Bourbons, et les soldats qu’ils nous confiaient, nous les menions à l’empereur, afin de rentrer en faveur auprès de lui. Ah ! Victoria ! Victoria ! tu me l’as dit : — « Honte et malheur à toi, Olivier, si tu trahis jamais la république. » La honte et le malheur se sont appesantis sur moi ; la prédiction de Victoria s’est accomplie : j’ai trahi la république en brumaire ; je me suis vendu à la restauration en 1814, je