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LE GÉNÉRAL OLIVIER, souriant. — Vous ne me reconnaissez pas, madame ?

MADAME LEBRENN, regardant le général avec plus d’attention. — J’interroge en vain mes souvenirs, monsieur, et…

LE GÉNÉRAL OLIVIER. — Il y a vingt ans environ, j’étais apprenti dans l’atelier de M. Lebrenn.

MADAME LEBRENN, vivement. — Quoi ! vous seriez…

LE GÉNÉRAL OLIVIER. — L’orphelin que vous et M. Lebrenn avez recueilli avec tant de bonté, madame… (Voyant la froideur se peindre sur les traits de Charlotte.) Votre mari a, je le sais, jugé sévèrement ma conduite, il n’a pas eu tort… malheureusement… Je venais lui dire adieu.

MADAME LEBRENN. — Vous partez ?

LE GÉNÉRAL OLIVIER. — Je quitte demain la France : c’est fait de l’empire, et avant huit jours les Bourbons seront à Paris ; ils m’avaient confié le commandement d’une division, je l’ai conduite à l’empereur à son retour de l’île d’Elbe ; je serai sans doute traduit devant un conseil de guerre royaliste, je préviens la proscription ou la mort en m’exilant volontairement.

MADAME LEBRENN. — Quoique de garde à l’Élysée, Jean doit revenir à trois heures ici, où il a rendez-vous avec quelques amis. Il est deux heures et demie, voulez-vous attendre mon mari ?

LE GÉNÉRAL OLIVIER. — Certainement, car j’éprouverais un véritable chagrin à quitter la France pour toujours peut-être, sans avoir une dernière fois serré la main de l’homme qui, dans ma première jeunesse, a été pour moi un frère aîné.

MADAME LEBRENN, à son fils. — Mon enfant, garde le magasin, je vais conduire monsieur à notre entresol, où il attendra le retour de ton père.

Madame Lebrenn, suivie du général Olivier, passe dans l’arrière-boutique où aboutit l’escalier de l’entresol qu’elle occupe ; et après avoir gravi les degrés, elle introduit le général dans un salon modestement meublé.

MADAME LEBRENN. — Aussitôt le retour de Jean, je le préviendrai de votre présence ici, monsieur.

LE GÉNÉRAL OLIVIER. — Un mot, de grâce, madame ; je sais dès longtemps quelle est l’élévation, la fermeté de votre caractère, vous devez partager la mauvaise opinion que M. Lebrenn a eue de moi depuis brumaire, époque de ma dernière rencontre avec lui ?