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MARIK. — Je n’ai pu en avoir que de très-incomplètes par le portier de sa maison.

MADAME LEBRENN. — Pourquoi n’es-tu pas monté chez lui ?

MARIK. — Je suis monté d’abord, mais à peine l’un des domestiques m’avait-il ouvert la porte, que cette horrible femme qui est maîtresse absolue chez lui est accourue et m’a dit : — Vous venez savoir des nouvelles de M. le comte ; il va très-bien ; puis, ordonnant d’un signe au domestique de se retirer, elle m’a ouvert la porte. J’ai compris que mon insistance serait inutile, je suis descendu chez le portier ; il m’a appris que, selon les gens de la maison, mon grand-père se trouvait dans un état inquiétant ; il a eu le délire pendant toute la nuit, il croyait les Bourbons de retour, et criait sans cesse qu’ils allaient l’envoyer à la guillotine !

MADAME LEBRENN, soupirant. — Sa conscience bourrelée lui rappelle qu’après la fuite de Louis XVIII à Gand, et dans l’espoir de redevenir sénateur de l’empire, ou de faire oublier la part qu’il a prise à la déchéance de Napoléon, il a publié une brochure des plus violentes contre les Bourbons ; or, si une seconde restauration s’accomplit, comme tout, hélas ! le présage, mon malheureux père ne sera pas envoyé à l’échafaud, mais sans doute en exil. Oh ! qu’il est cruel pour moi de le savoir abandonné à des mains indignes ; mais que faire ?

MARIK. — Veux-tu t’exposer encore à être chassée de sa maison, et cela par lui-même, ainsi qu’il en a été deux fois depuis trois mois ? N’a-t-il pas osé te dire que la crainte de perdre son héritage t’amenait près de lui ?

MADAME LEBRENN. — Sa raison est depuis quelque temps si souvent affaiblie que, sans souci de ce reproche, j’aurais accompli mon devoir envers mon père. Mais comment éloigner cette odieuse créature qui s’est emparée de son esprit et ne le quitte pas d’un instant ?

Le général Olivier entre dans la boutique, il est revêtu d’une longue redingote bleue, boutonnée jusqu’au col ; son bras droit est soutenu par une écharpe, et un bandeau noir ceint à demi son front sous son chapeau, car l’intrépide soldat a été criblé de blessures à Waterloo.

LE GÉNÉRAL OLIVIER, saluant. — C’est à madame Lebrenn que j’ai l’honneur de parler ?

MADAME LEBRENN. — Oui, monsieur.

LE GÉNÉRAL OLIVIER. — M. Lebrenn est-il ici ?

MADAME LEBRENN. — Non, monsieur, il est de garde à l’Élysée.