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l’un des membres de la commission chargée de rédiger le décret de déchéance de l’empereur, je suis perdu ! je suis mort !

LE CARDINAL, à Fouché. — Quoi ! duc d’Otrante, il serait-vrai ? une pareille catastrophe…

FOUCHÉ. — Une catastrophe ! Votre Éminence veut rire ! mais c’est au contraire l’événement le plus extraordinairement heureux et délectable qui se puisse produire sous la calotte des cieux. Vous ne voyez donc pas que ce gueux de Bonaparte tombe dans le traquenard que je lui ai tendu. (Mouvement du cardinal et du comte.) Cela vous étonne, hein ? c’est pourtant conıme ça. Figurez-vous que je faisais toujours un peu de police, en amateur. J’ai monté le coup, l’usurpateur a donné dans le panneau : il est accouru en France, et à l’heure où je vous parle, il doit être fusillé comme un chien. (À part, et voyant l’air crédule et ébahi du cardinal.) Est-il bête, ce calottin ! il avale la bourde sans la mâcher ; est-il bête !… Mais il y aura quelqu’un de plus bête encore que ce calottin, c’est le grand homme. Il ne manquera pas de me reprendre pour ministre de la police ; je le trahirai une fois de plus, parce qu’il est perdu d’avance. Son retour est une folie ; il arrivera sans coup férir à Paris, car ces imbéciles de Bourbons sont exécrés ; mais avant un mois, l’Europe entière sera en marche contre la France, Bonaparte est flambé ; aussi je vais à lui, je n’en serai que plus à même de servir une nouvelle restauration : il n’y a que cela de possible.

Pendant ces dernières paroles de l’infâme Fouché, les différents personnages sortent effarés, en proie à des préoccupations diverses. Fouché les suit en se frottant les mains.

LE MARQUIS, demeuré seul dans le salon, et pâmant de rire sur le canapé où il se tord. — Sont-ils ahuris… hi !… hi !… Dans quel pétrin nous voilà !… ah !… ah !… Oh ! la rate !…

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Les Cent-Jours touchent à leur fin ; ils auront passé comme l’éclair dans une nuit d’orage. Napoléon, ne comptant que sur son génie et sur son armée, a livré au hasard d’une bataille son empire et l’indépendance du pays. Cette bataille, il l’a perdue à Waterloo, malgré les prodiges d’héroïsme de nos soldats.

Quelques jours sont écoulés depuis ce grand désastre ; la scène suivante a lieu dans le magasin de toile de Jean Lebrenn, rue Saint Denis, à l’enseigne de l’Épée de Brennus, le brenn, ou chef de l’armée, qui fit payer chèrement à Rome sa rançon. Jean Lebrenn a