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LE CARDINAL, outré, à M. de Plouernel. — Eh bien, mon frère, qu’en dites-vous ? Voilà où nous en sommes !

LE VICOMTE GONTRAN, d’une voix enfantine et grêle. — Il faut le faire jeter à la porte, ce mendiant-là, avec son parapluie et ses souliers crottés !

Rodin, impassible et muet, s’est une troisième fois incliné jusqu’à terre devant le cardinal ; après quoi, se redressant, il fait, d’un geste bref, signe à l’huissier de marcher devant lui, et il disparaît bientôt par une porte opposée à celle qui lui a donné accès dans le salon ; elle s’ouvre de nouveau devant le lieutenant général comte Olivier, revêtu du grand uniforme de son grade, décoré de la plaque de la Légion d’honneur et de celles de plusieurs ordres étrangers ; il porte le grand cordon rouge en écharpe, l’ordre de la couronne de fer en sautoir, et la croix de Saint-Louis à l’une des boutonnières de son habit étincelant de broderies. L’ancien apprenti de Jean Lebrenn atteint sa trente-huitième année ; sa moustache est encore noire, mais ses cheveux grisonnent ; sa figure est toujours belle et martiale. Étranger aux autres personnes réunies dans le salon, le général Olivier s’assied à peu de distance du groupe formé par le cardinal, le comte de Plouernel et M. Hubert ; le comte Desmarais reste dans l’embrasure de la croisée, afin d’éviter les regards de l’ex-colonel aux gardes françaises qui l’a fait bâtonner par ses laquais.

LE CARDINAL, à M. de Plouernel. — Vous l’avez vu : ce jésuite, ce prestolet est introduit chez M. de Blacas avant moi, prince de l’Église, sans parler de ma naissance ; et l’on ose soutenir que notre infortuné roi ne subit point malgré lui l’influence des idées révolutionnaires ; eh bien, moi, je le déclare, du train dont vont les choses, et moyennant cette exécrable charte de 1814, nous marchons à un nouveau 93 !

M. HUBERT. — Pourtant, monsieur le cardinal, la restauration fait une assez belle part au clergé, ce me semble.

LE CARDINAL. — Quoi ! une belle part ! Je voudrais bien savoir laquelle, mon cher monsieur ? Est-ce que l’on nous a rendu nos biens, nos privilèges, nos droits, dont la révolution nous a dépouillés ? Je soutiens, moi, qu’elle coule à pleins bords cette infâme révolution.

LE COMTE DE PLOUERNEL. — Mon frère a raison, car vous avouerez, monsieur Hubert, que l’ancienne noblesse d’épée n’est guère plus comptée en ce temps-ci que la noblesse d’Église. Est-ce que le roi n’a pas eu l’incroyable faiblesse de donner le commandement de deux compagnies de ses gardes à des ex-maréchaux de l’empire ? des