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la scélératesse de dénoncer des gens qui vous auraient confié leurs secrets ?

FOUCHÉ, riant. — D’abord, ces imbéciles-là n’auraient que ce qu’ils méritent ; ça leur apprendrait à me confier quelque chose, à moi, Fouché ; mais c’est me croire aussi abêti que l’est le citoyen Brutus par ses drôlesses que de me supposer capable de dire toute la vérité à Blacas. Malheureux duc ! je vas lui en faire voir et croire de toutes les couleurs, et tellement l’embrouiller, l’ahurir, l’abrutir par mes aveux et par mes réticences, par mes suppositions et mes contre-suppositions, par des si… des mais… des quand… que le duc ne comprendra rien du tout à la chose, sinon que je suis un fameux royaliste. Dieu de Dieu ! quel royaliste !

UN HUISSIER. — Son Excellence aura l’honneur de recevoir monsieur le duc d’Otrante.

LE COMTE DESMARAIS. — Mais nous sommes arrivés avant vous, Fouché.

FOUCHÉ, riant et se dirigeant vers la porte ouverte par l’huissier. — Oui, mon cher, mais un fameux royaliste comme moi passe avant tout le monde.

Au moment où la porte se referme sur Fouché, d’autres solliciteurs entrent dans le salon d’attente. Ces nouveaux venus sont le comte de Plouernel, alors lieutenant général, et sous l’uniforme de commandant en second la compagnie de mousquetaires noirs de la maison militaire de Louis XVIII ; le fils du comte, enfant de treize ans, le vicomte Gontran, porte l’habit de page du roi ; enfin le cardinal de Plouernel, frère puîné du comte, l’accompagne. Ce prélat est vêtu d’une soutane et d’une calotte rouges. Ces nouveaux personnages forment d’abord un groupe à l’écart et assez éloigné du comte Desmarais et de M. Hubert, puis M. de Plouernel, s’avançant vers ce dernier, qu’il ne reconnaît pas d’abord :

— Auriez-vous la bonté, monsieur, de me dire si l’audience est commencée ? 


HUBERT examine M. de Plouernel et rappelle peu à peu ses souvenirs. — Oui, monsieur, tout à l’heure le duc d’Otrante a été mandé par M. le duc de Blacas… Mais, pardon, est-ce que ce n’est pas à M. le comte de Plouernel que j’ai honneur de parler ?

LE COMTE DE PLOUERNEL. — Oui, monsieur.

LE COMTE DESMARAIS, à part et se plaçant dans l’embrasure d’une croisée. — Que vois-je ? cet ancien colonel aux gardes françaises qui, avant 1789, m’avait fait donner des coups de bâton par ses laquais !