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sénateurs, devenus pairs de France lors du premier retour des Bourbons. Il touche à sa soixante-neuvième année : ses traits soucieux, chagrins, révèlent en outre une sorte d’affaissement sénile. M. Hubert, déjà fort riche lors de la révolution et devenu possesseur d’une fortune énorme, grâce à ses fournitures sous le Directoire, époque à laquelle il était membre du conseil des Anciens, n’a demandé aucune faveur à l’empire, dont l’absolutisme blessait ses principes politiques ; son idéal avait toujours été, depuis 1792, une royauté constitutionnelle gouvernée par une oligarchie bourgeoise ; la restauration se rapprochant quelque peu de l’idéal de M.Hubert, il avait obtenu d’être compris dans cette fournée de grands propriétaires que Louis XVIII crut politique d’introduire à la Chambre des pairs. Mais, doué d’un grand bon sens, M. Hubert, témoin des stupidités de la restauration, s’était désaffectionné de ce gouvernement et appartenait alors à ce parti politique qui conspirait de ses vœux ou autrement en faveur de l’intronisation de la branche d’Orléans. M. Hubert et son beau-frère causent, assis au coin de la cheminée du salon d’attente du duc de Blacas, en attendant l’heure de l’audience qu’ils ont sollicitée.

LE COMTE DESMARAIS. — Si Son Excellence monseigneur le duc de Blacas vous a promis que Sa Majesté vous créera baron, vous obtiendrez cette faveur, car M. le duc est tout-puissant.

M. HUBERT. — Et voilà, beau-frère, ce que c’est que d’épouser de jeunes femmes ; la mienne, depuis qu’elle m’a donné un fils, m’a tellement persécuté pour être baronne et pour qu’après nous notre fils soit baron, que, malgré le ridicule de la chose, je serai baronifié.

LE COMTE DESMARAIS. — Qu’y a-t-il donc de ridicule à cela ?

M. HUBERT. — Il y a que je serai aussi ridicule que vous, monsieur le comte Desmarais ! Quelle comédie ! Vous, comte ! un ancien jacobin devenu pair de France sous le règne du frère de Louis XVI…

LE COMTE DESMARAIS. — Cela prouve la magnanimité, la clémence de nos souverains bien-aimés, qui…

M. HUBERT. — Laissez-moi donc tranquille ; vous leur tourneriez au besoin casaque comme vous l’avez tournée à l’empereur.

LE COMTE DESMARAIS. — Ce monstre… avait…

M. HUBERT, riant. — Ce monstre avait eu la férocité de vous nommer sénateur et comte, avec une dotation de dix mille livres !!

LE COMTE DESMARAIS. — Le scélérat ! il m’aurait fait fusiller ou jeter dans un cul de basse-fosse si j’avais refusé ses horribles faveurs, il m’a bien fallu les subir.