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conscrits ne regagnaient leurs corps que contraints ou traînés par la gendarmerie, d’autres fuyaient dans les bois, d’autres se mutilaient afin de se rendre impropres au service militaire ; terribles symptômes qui prouvaient combien l’on avait en France l’horreur de la guerre à la fin de l’empire, parce que chacun sentait que ce n’était pas pour le pays qu’il fallait combattre, mais pour la satisfaction de l’ambition d’un seul homme.

La situation semblait désespérée ; les Autrichiens s’avançaient par l’Italie et par la Suisse ; les Anglais, maîtres de l’Espagne et du Portugal, descendaient des Pyrénées, commandés par Wellington ; les Prussiens, sous les ordres de Blücher, envahissaient Francfort, et l’armée du Nord, ayant à sa tête Bernadotte, pénétrait en France par la Belgique. Ces forces immenses, convergeant sur Paris, s’avançaient à marches forcées. En vain nos soldats firent des prodiges de valeur ; en vain les Prussiens furent écrasés à Montmirail, à Champaubert, à Château-Thierry, et les Autrichiens culbutés à Montereau ; ces stériles victoires, dernier effort du génie guerrier de Napoléon, ces sanglantes et héroïques batailles avaient la masse de la nation pour témoin, mais non pour auxiliaire ; elle admirait le courage des soldats de l’empire, elle déplorait l’envahissement de la patrie ; mais le joug du despotisme de l’empereur pesait si cruellement sur le pays depuis dix ans, que l’invasion étrangère semblait, hélas ! presque une délivrance et la soif ardente de liberté faisait oublier le deuil de la patrie.

Le 30 mars 1814, les armées étrangères entrèrent dans la capitale, honte que la France n’avait subie qu’une fois à travers les siècles, sous la monarchie, lors du règne du roi Jean, alors que les Anglais devinrent maîtres des trois quarts de la France. Talleyrand et Fouché, si longtemps les serviles et infâmes instruments du despotisme de leur maître, furent les premiers à le trahir avec un cynisme révoltant. Abandonné par la plupart de ses maréchaux, qu’il avait comblés de richesses, de titres, d’honneurs, et qui, le voyant déchu, lui reprochèrent brutalement son insatiable ambition, Napoléon, le 11 avril 1814, abdiqua l’empire après un règne de dix ans.

Le sénat, d’un servilisme abject pendant la durée de l’empire, mit le comble à son ignominie en décrétant et motivant ainsi qu’il suit la déchéance de l’homme dont ces mêmes sénateurs avaient été constamment les complices en s’associant à tous ses actes liberticides et en se montrant les plus vils, les plus lâches adulateurs d’une tyrannie qu’ils avaient l’audace inouïe, eux !!! de dénoncer en ces termes :

« LE SÉNAT CONSERVATEUR,