Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 16.djvu/31

Cette page n’a pas encore été corrigée

un nombre de troupes assez considérable dont tu te trouves maintenant privé ?

— Citoyen représentant, — dit Hoche avec déférence, mais avec un accent de supériorité militaire, — il n’est point à la guerre de règle absolue… Je crois mon plan de bataille sagement combiné… en raison des circonstances.


— De ce plan je ne conteste pas la valeur, citoyen général, — répond Saint-Just impassible. — J’ai déjà assisté à de nombreux combats en vertu de ma mission… j’ai acquis de la sorte, non pas la science militaire… tant s’en faut… mais seulement une certaine intelligence des faits de guerre. Je puis ainsi me rendre compte des opérations dont je suis témoin et apprécier l’importance du grand principe d’attaque sur le centre de l’ennemi et par masses, principe ordonné par le comité de salut public… Mais tu dis vrai, il n’est point en campagne de règle absolue. Le général doit posséder sa complète liberté d’action… J’ai dû néanmoins te rappeler le principe dont tu t’es écarté. Il sera constaté par toi-même en cas de défaite causée par une dérogation formelle aux instructions du comité… que mes avertissements ne t’auront pas manqué…

— Je serai le premier à le reconnaître.

— Tu n’auras pas, je l’espère, ce souci. La république a foi dans ton génie, dans ton patriotisme, citoyen général… et ce soir, j’en suis persuadé, tu auras une fois de plus bien mérité de la patrie.

— Puisse cet augure se réaliser !… Notre armée est pleine de feu et d’enthousiasme… Tu as entendu ce matin nos soldats, lorsque tu les as instruits de la prise de Toulon… « L’armée du Midi a pris Toulon, se sont-ils écriés ; l’armée de Rhin et Moselle prendra Landau. »

— Citoyen général, — reprit Saint-Just après un instant de silence, — as-tu rencontré, dans le cours de ta carrière militaire, un jeune officier nommé BUONAPARTE ? Il est actuellement chef de bataillon ; il donne les plus grandes espérances. On lui attribue le succès du siège de Toulon.

Buonaparte ? — dit HOCHE interrogeant ses souvenirs. — Non, je ne connais pas cet officier.

— L’on me rapporte, dans une lettre relative à la reddition de Toulon, un propos singulier de ce citoyen, — reprit Saint-Just d’un air pensif. — L’on parlait en sa présence de l’insurrection de Corse et de son chef Paoli, qui rêvait en ce pays à une espèce de royauté… Le citoyen Buonaparte, jusqu’alors silencieux, reprit : « Il serait plus