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Elle avait eu de grandes chances de succès : à cette époque, Napoléon quittait à peine Moscou ; la France, plus que lasse des guerres incessantes, eût accepté tout autre gouvernement. Le complot avait des ramifications très-étendues dans les provinces, et notamment dans le Midi. Il n’est pas douteux qu’en cas de réussite, la république eût été proclamée ; événement heureux pour la France, car elle n’aurait pas subi les hontes, les désastres des deux invasions de 1814 et de 1815. Repliée derrière le Rhin, elle eût été invincible comme en 1793 et en 1794, en faisant appel aux forces révolutionnaires de la nation, qui possédait encore ces levées d’hommes considérables vainement sacrifiées plus tard par Napoléon, lors de ses désastreuses campagnes de 1813, afin de reconquérir l’Allemagne qui lui échappait et devait lui porter les derniers coups.

Apprenant de combien peu il s’en était fallu que la conspiration de Malet ne réussît, Napoléon fut atterré ; alors seulement il reconnut le peu de stabilité de sa dynastie, sans racines dans le pays, car au moment où les conjurés se croyaient assurés de la victoire, Marie-Louise et le roi de Rome se trouvaient à Paris, et personne ne songeait à la famille impériale, aussi Napoléon s’écria-t-il, avec une surprise d’une incroyable naïveté : « Ainsi, moi mort, tout était dit ; ainsi l’impératrice et le roi de Rome ne comptaient pour rien ! » Après quelque temps passé à Paris, afin de décréter de nouvelles conscriptions, qui allaient tarir le dernier sang de la France, laisser en friche la plupart des terres, les bras manquant pour les cultiver, Napoléon se remit en campagne, le 15 avril 1813, afin de faire face à une nouvelle et terrible coalition : il ne pouvait cesser de guerroyer, soit dans l’espoir de rendre son despotisme tolérable à force de gloire, suit pour combattre, terrifier ou contenir l’Europe, incessamment soulevée contre lui. L’aveu de cette fatalité terrible est échappé à Napoléon durant sa captivité à Sainte-Hélène, aveu noyé au milieu d’une foule d’allégations destinées, selon lui, à abuser la postérité, ainsi qu’il avait si longtemps abusé la France.

« Je triomphais sans doute, disait Bonaparte à Sainte-Hélène ; mais au milieu de périls toujours renaissants, il me fallait sans cesse autant d’adresse que de force. Si je n’eusse vaincu à Austerlitz, j’avais la Prusse sur les bras ; si je n’eusse triomphé à Iéna, l’Autriche et l’Espagne se déclaraient contre moi, et sans la victoire de Wagram, la Russie m’abandonnait, la Prusse se soulevait, et les Anglais étaient devant Anvers. » Ainsi, de son propre aveu, Napoléon, par la fatalité de son usurpation de brumaire, qui le poussait