Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 16.djvu/308

Cette page n’a pas encore été corrigée

quitter l’armée dans la situation où elle se trouve. Il fit un mouvement pour se jeter sur le maréchal, son épée nue à la main. Le soir il fit appeler le duc d’Istrie, et lui dit : Puisque vous le voulez tous, il faut bien que je parte. La scène était arrangée ; le projet de départ était arrêté lorsqu’elle fut jouée. M. Fain assure en effet que l’empereur s’était déterminé à quitter l’armée pendant la marche qui le ramena, le 4, de Malodeczno à Bietlitza

»À Smorgoni, l’empereur écrivit son 29e bulletin. Le 5 décembre, il monta sur un traîneau avec M. de Caulaincourt ; il était dix heures du soir. Il traversa l’Allemagne, caché sous le nom de son compagnon de fuite. À sa disparition, tout s’abîma. Quelques soldats, dont il ne restait de vivant que les têtes, finirent par se manger les uns les autres sous des hangars de branches de pin. Des maux qui paraissaient ne pouvoir augmenter se complètent : l’hiver, qui n’avait encore été que l’automne de ces climats, descend. Les Russes n’avaient plus le courage de tirer, dans des régions de glace, sur les ombres que Bonaparte laissait vagabonder après lui… [1]

» Durant cette effroyable déroute, Bonaparte a sans cesse été gardé par un bataillon sacré qui ne le perdit pas de vue dans tous ses mouvements : dédommagement des trois cent mille existences immolées. Le bulletin de la grande armée conclut, comme plusieurs autres, par ces mots : La santé de Sa Majesté n’a jamais été meilleure.

» Familles, séchez vos larmes, Napoléon se porte bien [2] !!! »

Napoléon abandonna ainsi à une perte certaine les débris de son immense armée ; et l’abandonnant comme autrefois il avait abandonné l’armée en Égypte, il revint en hâte en France, afin d’imposer au pays de nouveaux sacrifices pour venger d’irréparables désastres, causés par son insatiable ambition. Il apprit en chemin la conspiration républicaine du général MALET, entreprise d’une audace inouïe, car en quelques heures, seul, sans autre complice qu’un caporal et un abbé (ignorant d’ailleurs le véritable but de la tentative), le général Malet, grâce à sa présence d’esprit, à son adresse, à son énergie, répandant le bruit très-probable de la mort de Napoléon, parvenait en quelques heures à ranger sous ses ordres les principales forces militaires de la capitale, et à se rendre maître de la préfecture de police et de l’état-major de la place. Des circonstances, dues à des hasards impossibles à prévoir, firent avorter la conspiration de Malet.

  1. CHATEAUBRIAND, Mémoires d’Outre-Tombe, tome IX, p. 82.
  2. CHATEAUBRIAND, Mémoires d’Outre-Tombe, tome IX, p. 86