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fut surtout quand la garde impériale, sur laquelle ils se réglaient, s’ébranla. Son départ fut comme un signal ; ils accoururent de toutes parts, ils s’amoncelèrent sur la rive. On vit en un instant une masse profonde, large et confuse d’hommes, de chevaux et de chariots assiéger l’étroite entrée des ponts qu’elle débordait. Les premiers, poussés par ceux qui les suivaient, repoussés par la garde et par les pontonniers, ou arrêtés par le fleuve, étaient écrasés, foulés aux pieds ou précipités dans les glaces que charriait la Bérésina. Il s’élevait de cette immense et horrible cohue tantôt un bourdonnement sourd, tantôt une grande clameur mêlée de gémissements et d’affreuses imprécations. Le désordre avait été si grand que, vers deux heures, quand l’empereur s’était présenté à son tour, il avait fallu employer la force pour lui ouvrir un passage. Un corps de grenadiers de la garde et Latour-Maubourg renoncèrent, par pitié, à se faire jour au travers de ces malheureux.

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» La multitude immense entassée sur la rive, pêle-mêle avec des chevaux et des chariots, y formait un épouvantable encombrement. Ce fut vers le milieu du jour que les premiers boulets ennemis tombèrent au milieu de ce chaos ; ils furent le signal d’un désespoir universel. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

» Beaucoup de ceux qui s’étaient lancés les premiers de cette foule de désespérés, ayant manqué le pont, voulurent l’escalader par les côtés ; mais la plupart furent repoussés dans le fleuve. Ce fut là qu’on aperçut des femmes au milieu des glaçons, avec leurs enfants dans leurs bras, les élevant à mesure qu’elles enfonçaient ; déjà submergées, leurs bras roides les tenaient encore au-dessus d’elles. Au milieu de cet horrible désordre, le pont de l’artillerie creva et se rompit… Tout alors se dirigea vers l’autre pont. Une multitude de gros caissons, de lourdes voitures et de pièces d’artillerie affluèrent de toutes parts. Dirigées par leurs conducteurs et rapidement emportées sur une pente roide et inégale, au milieu de cet amas d’hommes, elles broyèrent les malheureux qui se trouvèrent surpris entre elles ; puis, s’entre-choquant, la plupart, violemment renversées, assommèrent dans leur chute ceux qui les entouraient. Alors, des rangs entiers d’hommes éperdus, poussés sur ces obstacles, s’y embarrassent, culbutent et sont écrasés par des masses d’autres infortunés qui se succèdent sans interruption. Ces îlots de misérables roulaient ainsi les uns sur les autres, on n’entendait que des cris de douleur et de rage. Dans cette affreuse