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plein de foi dans son génie, dans son étoile, Napoléon partit pour cette expédition lointaine, le 9 mars 1812 ; il débuta par des victoires, passa le Niémen le 26 juin, et battit les Russes à Smolensk et à la Moskowa, terribles batailles, aussi meurtrières pour l’armée française que des défaites, et le 14 septembre il entre victorieux à Moscou, presque effrayé de la facilité de sa marche depuis la bataille de la Moskowa. En effet, les Russes, comptant sur leur climat, comme sur le plus redoutable de leurs auxiliaires, s’étaient retirés presque sans combattre devant les Français, incendiant, dévastant leur propre pays avec un patriotique héroïsme, de même que jadis nos pères, les Gaulois de l’Armorique, ravagèrent leur fertile Bretagne, depuis Nantes jusqu’à Vannes, devant les légions de César. L’armée russe ne laissait ainsi derrière elle que des ruines, des déserts au milieu desquels s’avançait l’ennemi, privé de tout ravitaillement et réduit à ses propres ressources. Moscou lui-même fut incendié par ses habitants, peu de temps après que Napoléon était entré triomphant dans cette capitale. Obligé de fuir au milieu des flammes et d’affronter les rigueurs d’un hiver sans pareil jusqu’alors, l’empereur commença cette effroyable retraite qui devait être le tombeau de son immense armée. Les soldats, presque sans vivres, anéantis par le froid, harcelés nuit et jour par des nuées de Cosaques, épuisés, mourant de faim, de fatigue, de sommeil, se couchaient sur la neige, dans un morne désespoir, et bientôt des rangs entiers disparaissaient sous un immense et blanc linceul. Napoléon entendit alors de foudroyantes vérités ; les officiers, exaspérés par ces souffrances inouïes, disaient hautement : « C’est donc pour nous faire périr par la famine et le froid que tu nous as fait faire huit cents lieues ? Chaque année la guerre s’aggrave ; de nouvelles conquêtes forcent d’aller chercher de nouveaux ennemis. Bientôt l’Europe ne LUI suffira plus, il LUI faudra l’Asie. »

Au milieu des horribles désastres de cette déroute, Napoléon, ainsi que tous les grands capitaines endurcis par la guerre, ne prenait nul souci de ses soldats expirants.

«… Indifférent aux misères de ses soldats, Bonaparte n’avait cure que de ses intérêts. Lorsqu’il campait, sa conversation roulait sur des ministres vendus, disait-il, aux Anglais, lesquels ministres étaient les fomentateurs de cette guerre, ne se voulant pas avouer que cette guerre venait uniquement de lui. Le duc de Virence qui s’obstinait à racheter un malheur par sa noble conduite, éclatait au milieu de la flatterie au bivac ; il s’écriait : — Que d’atroces