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— La nécessité de remonter le moral de ses troupes… Elles ont, depuis un mois, reculé vers Landau de défaite en défaite, et toujours sur la défensive ; aussi Wurmser, en prenant aujourd’hui l’offensive, espère me surprendre et nous repousser loin des lignes de Wissembourg, dernière position qui couvre le blocus de Landau par l’ennemi ; or, l’objectif de cette campagne est de débloquer Landau.

— Je comprends qu’à ce point de vue Wurmser risque de prendre l’offensive en avant de la Lauter, — dit Saint-Just, — surtout s’il est assuré du concours des armées de Brunswick et de Condé.

— J’espère, sinon battre les deux armées, du moins paralyser leur mouvement par une diversion. Cette nuit j’ai dirigé sur Lauterbourg deux divisions commandées par Desaix ; elles doivent être arrivées ce matin à leur position et tiendront en échec le corps d’émigrés de Condé, tandis que Gouvion Saint Cyr, avec trois divisions, doit déboucher dans la vallée de la Lauter, où il est en force, et attaquer Brunswick à Nothweiller. Dans le cas contraire, car je suis imparfaitement renseigné sur les forces prussiennes, Gouvion Saint-Cyr inquiétera suffisamment Brunswick par des engagements d’avant-garde, pour l’empêcher d’opérer sa jonction avec Wurmser.

— Ce plan me semble bien conçu, — répondit Saint-Just. Puis, après un moment de réflexion : — Cependant, je te soumettrai une observation…

— Laquelle, citoyen représentant ?

— En divisant ainsi tes forces, en portant le corps de Desaix à Lauterbourg et le corps de Gouvion Saint-Cyr à Nothweiller, ne méconnais-tu pas ce principe essentiel de la guerre républicaine proclamé par Grimoard, par Carnot, et rigoureusement recommandé par le comité de salut public, car l’application de ce principe nous a presque toujours donné la victoire… en un mot : — attaquer par masses et impétueusement le centre de l’ennemi, en concentrant sur ce point toutes les forces disponibles, afin de le couper, de le séparer de ses ailes, dont on a ensuite facilement raison ? — Ainsi, au lieu d’envoyer si loin de toi les divisions de Desaix et de Gouvion Saint-Cyr pour contenir ou battre les corps de Brunswick et de Condé, n’eût-il pas été préférable… et c’est seulement un doute que j’exprime… n’eût-il pas, dis-je, été préférable de garder ces divisions sous ta main, soit pour renforcer ton attaque sur le centre de l’ennemi, soit pour les porter à ta droite ou à ta gauche, selon les manœuvres de Brunswick et de Condé, afin d’opérer leur jonction avec Wurmser ? Ainsi, du moins ce me semble, tu conservais à ta portée