Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 16.djvu/295

Cette page n’a pas encore été corrigée

vous. — Dans le système de la révolution française, ce qui est immoral est impolitique, — ce qui est corrupteur est contre-révolutionnaire. — La faiblesse, les vices, les préjugés sont le chemin de la royauté. »

Comparez ces admirables paroles de Robespierre à celles de Napoléon : — C’est avec des hochets que l’on mène les hommes. — Et ce n’est pas tout. N’a-t-il pas dit aussi — que la France se souciait aussi peu de la liberté que de l’égalité ! — Dieu juste ! quel sanglant sarcasme ! quel outrageant démenti à des vérités immortelles ! quel soufflet donné à l’histoire ! Ô patrie ! et pour la conquérir cette sainte égalité, cette liberté sainte, tu avais, pendant six ans, étonné le monde, et tu étonneras la postérité par la grandeur surhumaine de tes combats, de ton abnégation, de tes sacrifices et de ton héroïsme ! — Il n’importe : Bonaparte, enfant et soldat de la république, témoin des prodiges accomplis au nom de son impérissable devise : Liberté, égalité, fraternité, Bonaparte était aussi étranger à ces divins sentiments, malgré son génie, que le plus stupide et le plus encroûté des émigrés de l’armée de Condé, lesquels croyaient aussi que l’on mène les hommes avec des hochets, et que la France se souciait aussi peu de la liberté que de l’égalité. L’opinion générale se révolta tellement de la fondation de l’ordre de la Légion d’honneur, où l’on voyait un audacieux retour aux traditions monarchiques, que le conseil d’État, malgré son servilisme habituel, cédant au cri public, protesta contre l’établissement de cette nouvelle chevalerie par dix voix contre quatorze. — Le tribunat, cédant à la même pression, protesta par trente-huit voix contre cinquante-six, et le Corps législatif, par cent dix voix contre cent cinquante-six. Mais la majorité de ces différents corps, organe de la volonté de Bonaparte, l’emporta sur le mécontentement universel, cependant si flagrant, que les premiers légionnaires osaient à peine porter leurs rubans, de crainte des sarcasmes et du ridicule.

Le 6 mai 1802, le tribunat émit le vœu que les pouvoirs du premier consul fussent prolongés de dix ans, et deux mois après, sur la proposition du sénat, docile instrument de l’ambition de Bonaparte, le consulat à vie lui fut décerné. Dès lors, investi pour toujours d’un pouvoir irrévocable, irresponsable et absolu, il commence cette terrible guerre d’envahissement et d’oppression à l’extérieur, qui, d’abord victorieuse, devait plus tard, en soulevant tous les peuples contre l’empire, fatalement conduire la France aux hontes et aux désastres de 1814 et de 1815. Le 26 août 1802, Bonaparte réunit à la