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général Bonaparte, — eh bien, c’est avec des hochets que l’on mène les hommes. Je ne dirais pas cela à une tribune, mais dans un conseil d’hommes d’État l’on doit tout dire : je crois que la France se soucie aussi peu de l’égalité que de la liberté [1]. »

Ces tristes paroles : C’est avec des hochets que l’on mène les hommes, n’annonçaient que trop le dessein longuement prémédité du premier consul, de se servir des mauvais instincts, des mauvaises passions de l’humanité, de les exciter même au besoin, afin d’asservir plus sûrement les hommes en les corrompant, en les avilissant ! Ah ! , fils de Joël, quel saisissant contraste ! Souvenez-vous, souvenez-vous de la moralité sublime de l’idée républicaine, si noblement formulée, entre autres, par Robespierre, tendant sans cesse à dignifier le citoyen, l’élever par la pratique des mâles vertus de l’homme libre. Rappelez-vous ces belles paroles de Maximilien sur le devoir de la république :

« Nous voulons substituer dans notre pays la morale à l’égoïsme, — la probité à l’honneur, — les principes aux usages, — les devoirs aux bienséances, — l’empire de la raison à la tyrannie de la mode, — le mépris du vice au mépris du malheur, — la fierté à l’insolence, — la grandeur d’âme à la vanité, — l’amour de la gloire à l’amour de l’argent, — les bonnes gens à la bonne compagnie, — le mérite à l’intrigue, — le génie au bel esprit, — la vérité à l’éclat, — le charme du bonheur aux ennuis de la volupté, — la grandeur de l’homme à la petitesse des grands, — un peuple magnanime, puissant, heureux, à un peuple aimable, frivole et misérable, c’est-à-dire toutes les vertus de la république à tous les vices, à tous les ridicules de la monarchie.

» Puisque l’âme de la république est la vertu et l’égalité, puisque votre but est de fonder, de consolider la république, il s’ensuit que la première règle de votre conduite politique doit être de rapporter toutes vos opérations au maintien de l’égalité et au développement de la vertu, car le premier soin du législateur doit être de fortifier le principe du gouvernement. Ainsi, tout ce qui tend à exciter l’amour de la patrie, à purifier les mœurs, à élever les âmes, à diriger les passions du cœur humain vers l’intérêt public, doit être adopté ou établi par vous ; tout ce qui tend à concentrer dans l’abjection, l’égoïsme, à réveiller l’engouement pour les petites choses et le mépris des grandes, doit être rejeté ou réprimé par

  1. Mémoires de Thibaudeau, vol. II, p. 47.