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de plus en plus, puis le pas sonore, pesant et régulier d’une nombreuse troupe de soldats, la porte de la salle des séances est ouverte à coup de crosse de fusil ; le général Leclerc entre l’épée à la main, suivi de ses grenadiers ; à leur aspect, et comme par enchantement, un silence religieux a régné dans l’assemblée. Les représentants, désespérés, mais calmes et graves, ont regagné leurs sièges, où ils s’assoient, impassibles comme des juges… car le droit, succombant sous les coups de la force brutale, proteste en tombant et condamne l’iniquité victorieuse… Arrêt suprême, qui retentit dans la postérité.

LE GÉNÉRAL LECLERC, d’un ton impérieux. — Représentants, retirez-vous d’ici, le général Bonaparte vous en donne l’ordre.

GRANDMAISON, de sa place. — Le général Bonaparte est hors la loi ! Vive la république !

(Acclamations prolongées, suivies de cris de vive la constitution ! — Vive la république ! )

LE GÉNÉRAL LECLERC, désignant de son épée les représentants du peuple, immobiles à leur place. — Grenadiers… en avant ! Tambours, battez la charge !

Les tambours battent la charge, les grenadiers entrent l’arme au bras dans la salle des séances.

BIGONNET, s’élançant à la tribune. — Quoi… soldats ! vous… les grenadiers du Corps législatif, vous osez attenter à sa sûreté ?

DELBREL. — Vous vous couvrez de honte ! Vous êtes indignes de porter l’uniforme !

TOLOT. — Vous vous déshonorez… Vous êtes les prétoriens d’un nouveau César !

UN OFFICIER. — Brigands… vous avez voulu assassiner notre général…

GAUDIN. — C’est une infâme imposture.

LE GÉNÉRAL LECLERC, à la tribune. — Au nom du général Bonaparte, le conseil des Cinq-Cents est dissous ; que les bons citoyens se retirent. Grenadiers… en avant !

Les grenadiers pénètrent dans toute la longueur de la salle, en présentant la pointe de leurs baïonnettes aux mandataires de la nation : seuls quelques anciens soldats de la république, se souvenant du respect dont étaient jadis entourés les représentants du peuple auprès des armées, ont conscience du crime qu’ils commettent, et ils n’obéissent qu’avec hésitation et lenteur, semblant accuser la discipline de leur outrage envers les membres de la représentation