Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 16.djvu/286

Cette page n’a pas encore été corrigée

détromper les spectateurs qui se trouvent autour d’eux ; — le général Bonaparte a été mis hors la loi pour avoir violé le sanctuaire de l’assemblée en l’envahissant à la tête de la force armée ; le vote a été libre, spontané, il n’y a eu ni menaces, ni poignards ! — Mais, citoyen, l’on n’invente pas de pareilles choses, — répondent à Jean Lebrenn quelques spectateurs, — le président du conseil des Cinq-Cents affirme le fait, il est donc vrai ! — Oui, oui ! — Il faut être un jacobin pour élever de pareils doutes. — Écoutons ! — Silence !

LUCIEN BONAPARTE, à son frère, de plus en plus rassuré par le succès de cette jonglerie. — « Général ! et vous, soldats ! vous ne reconnaîtrez pour législateurs de la France que ceux qui vont se rendre auprès de moi… Quant à ceux qui resteraient dans la salle de l’orangerie, que la force les en expulse… Ces brigands ne sont plus représentants du peuple, mais représentants du poignard… Que ce titre leur reste… qu’il les suive partout, et lorsqu’ils oseront se montrer au peuple, que tous les doigts les désignent sous ces noms mérités, les représentants du poignard… Vive la république [1] ! »

LE COLONEL OLIVIER, brandissant son sabre. — Hors la loi les représentants du poignard !

OFFICIERS et SOLDATS, agitant leurs armes. — Oui, oui ! hors la loi les représentants du poignard !… Hors la loi les assassins ! — Vive la république !

LE GÉNÉRAL BONAPARTE, d’une voix claire et retentissante. — « Soldats ! je vous ai menés à la victoire, puis-je compter sur vous [2] ? »

LE COLONEL OLIVIER. — Oui, oui ! Vive le général.

SOLDATS. — Vive le général ! — Qu’ordonnez-vous ? — Nous sommes prêts !

LE GÉNÉRAL BONAPARTE. — Soldats ! on avait lieu de croire que le conseil des Cinq-Cents sauverait la patrie ! Au contraire, il la livre à de nouveaux déchirements ! Des agitateurs cherchent à soulever ce conseil contre moi… le souffrirez-vous ? »

OFFICIERS et SOLDATS. — Non ! non ! — Comptez sur nous ! — Ordonnez, nous marcherons ! 


  1. Cet incroyable discours de Lucien Bonaparte fut imprimé dans la journée et distribué dans Paris par milliers d’exemplaires. (Histoire parlementaire de la révolution, p. 249, vol. XXXVIII.) Nous avons donné le récit de la séance textuellement, puisé au Moniteur. C’est au lecteur à comparer les affirmations du président du conseil des Cinq-Cents à la réalité.
  2. Les paroles du général Bonaparte sont textuelles. Voir l’Histoire parlementaire de la révolution, p. 440, vol. XXXVIII.)