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pousser à l’insurrection. Santerre est votre parent, on dit qu’il veut agiter le faubourg Saint-Antoine, faites-lui savoir que s’il bouge… je le fais fusiller sur-le-champ [1]. — GOHIER, indigné. — Fusiller sans forme de procès ! Mais c’est une atrocité… Et la loi ? — MOULINS. — Général, Santerre n’est pas mon parent, c’est mon ami, c’est un bon citoyen. — LE GÉNÉRAL BONAPARTE. — Puisque vous ne voulez pas donner votre démission de directeur, je vous ferai mettre en surveillance et garder à vue… pour votre sûreté.

Moulins et Gohier, de retour au Luxembourg, rédigèrent une adresse aux deux conseils, réclamant leur concours, invoquant leur courage, pour combattre les projets liberticides du futur dictateur. Cette adresse fut interceptée par l’ordre de Moreau, chargé de garder à vue les deux directeurs. Grand nombre de membres de la majorité républicaine du conseil des Cinq-Cents tinrent, pendant la nuit du 18 brumaire, plusieurs conciliabules avec d’anciens patriotes, mais il leur fut impossible d’organiser une résistance sérieuse, impuissants qu’ils se virent à réveiller le peuple de sa torpeur, ou à dissiper son erreur au sujet du général Bonaparte, que les masses, éblouies par sa gloire, s’obstinaient à considérer comme le plus ferme soutien de la république, généreusement crédules d’ailleurs aux assurances tant de fois réitérées par lui et affirmées sur son honneur, qu’elle n’avait pas de serviteur plus dévoué que lui. Les représentants des Cinq-Cents, reconnaissant avec désespoir qu’ils ne pouvaient conjurer les périls dont était menacée la liberté, se séparèrent, résolus de mourir, s’il le fallait, le lendemain, sur leurs sièges. Ainsi, du 18 au 19 brumaire, tout conspire en faveur de Bonaparte : une fraction considérable de la bourgeoisie, ajoutant foi aux fables immondes de Fouché, auxquelles la translation des assemblées à Saint-Cloud donne un caractère d’effrayante réalité, tremblait, éperdue, et dans son épouvante ne voit de sûreté pour elle, pour ses biens, qu’abritée sous la dictature militaire du vainqueur d’Arcole et de Lodi. L’autre fraction de la bourgeoisie, hostile à la république, qu’elle regardait toujours, si énervée, si dénaturée qu’elle fût, comme l’instrument d’affranchissement du peuple, feint de partager ces terreurs insensées, va partout, répétant que seule l’épée du général Bonaparte peut défier les septembriseurs et préserver la France du renouvellement des sanglants excès de 1793. — Le peuple, découragé, indifférent ou abusé, reste
 témoin impassible des événements ;

  1. Voir, pour cet entretien, Histoire parlementaire de la Révolution, page 479, vol. XXXVIII.