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Les scènes suivantes se passent le 19 brumaire, le lendemain du jour où la majorité factieuse du conseil des Anciens, d’accord avec le général Bonaparte, a décrété la translation des deux assemblées législatives à Saint-Cloud, afin de dissoudre le conseil des Cinq-Cents, les derniers défenseurs de la république, et d’acclamer ensuite la dictature militaire. La translation des assemblées à Saint-Cloud a eu pour prétexte que les représentants du peuple étaient menacés du poignard des septembriseurs ; cette ignoble et stupide imposture, inventée par Fouché, colportée par ses agents, a trouvé créance, à Paris, chez une foule de niais et de trembleurs, créance que tous les ennemis de la révolution ont feint de partager en l’exagérant encore ; et cette jonglerie est devenue pour ainsi dire le pivot de ces funestes journées. Les directeurs républicains Moulins et Gohier, résolus de s’opposer autant qu’il était en eux aux desseins des conjurés, désormais dévoués au général Bonaparte, ont en vain fait appel à Barras ; son concours, leur donnant la majorité dans le Directoire, leur permettait d’agir au nom du pouvoir exécutif et de prêter appui au conseil des Cinq-Cents ; mais, cédant aux conseils de Talleyrand, Barras a vendu sa démission aux factieux et s’est retiré à sa terre de Grosbois. Roger Ducos et Sieyès, afin de faciliter l’œuvre des conjurés, ont aussi donné la leur, Sieyès s’apercevant un peu tard qu’il était le jouet du général Bonaparte, dont il comptait, dans son aveugle orgueil, se faire un instrument. En vain Moulins et Gohier veulent réunir autour d’eux, comme noyau de résistance, la garde du Directoire ; son commandant Jubé la conduit au général Bonaparte, qui, gagnant aussi Moreau, toujours faible et indécis, lui confie la garde du Luxembourg, où demeurent les dictateurs. Moulins et Gohier, privés de tout soutien matériel, se rendent auprès du futur dictateur et réclament énergiquement contre cette concentration illégale du pouvoir militaire entre ses mains, et le dialogue suivant s’établit entre eux.

BONAPARTE. — Vous n’avez qu’une chose à faire, donner votre démission ; il n’y a plus de Directoire. — GOHIER. — Comment, plus de Directoire ! il n’y a plus de constitution ? — MOULINS. — Et nos serments ?… Si trois de nos collègues ont donné leur démission, il faut que les conseils s’occupent de leur remplacement. — BONAPARTE. — C’est inutile, vous dis-je, le Directoire a cessé d’exister. — MOULINS. — Vous nous tendiez donc un piège, général, lorsqu’avant-hier vous fixiez vous-mêmes le jour pour venir dîner chez le président du Directoire exécutif ? — BONAPARTE. — Vous voulez