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me menacer de faire ces révélations à d’autres qu’à moi… si je ne te donne pas sur-le-champ le moyen de fuir ?

— Oui, général.

— Il n’existe à ceci qu’un léger inconvénient.

— Lequel, général ?

— Eh mon Dieu, — répond Donadieu en se dirigeant vers la porte, — je vais appeler le brigadier de maréchaussée qui t’a amené, lui donner l’ordre de te fusiller sur l’heure, et ton secret va mourir avec toi.

— Et Saint-Just ?… à qui vous venez d’envoyer demander par votre aide de camp l’autorisation de surseoir à mon exécution ?

À ces mots, le général s’arrête, tressaille et pâlit de nouveau. Puis, réfléchissant : — Je répondrai à Saint-Just que, tes révélations n’étant que des balivernes, j’ai laissé exécuter ta condamnation… Saint-Just n’est pas homme à jamais me reprocher d’avoir hâté la mort d’un contre-révolutionnaire… Donc, — ajoute le général Donadieu faisant un nouveau pas vers la porte, — tu vas être fusillé sur l’heure.

— Bon !… mais moi ? — dit soudain la voix grêle du jeune Rodin, jusqu’alors impassible et silencieux dans un coin obscur de la chambre. — Oui… et moi ? — répète le hideux enfant, — on ne me fusillera point, bien sûr !… j’ai à peine onze ans. Or, si vous envoyez mon doux parrain chez les anges, je raconterai à tout le monde ce que je viens de voir et d’entendre… Dame… oui, général ; tout ce que mon doux parrain vous a déclaré, je le sais par cœur. — Et le fillot du jésuite commença ainsi d’une voix aiguë et tout d’un trait avec l’accent monotone et traînard de l’écolier récitant sa leçon :

— « Le général Donadieu, prisonnier à la bataille de Watignies, a été conduit par le comte de Plouernel au quartier général du prince de Condé. Ce prince a accueilli le général Donadieu de la manière la plus flatteuse. Celui-ci, pénétré de ce bon accueil, a avoué qu’il ne servait qu’avec regret dans une armée assez dépourvue d’orgueil militaire pour subir le joug honteux de ces misérables représentants du peuple… et… »

— Ah ! je t’écraserai, vipère ! — s’écrie le général, d’abord muet, atterré d’épouvante et saisissant à la gorge le petit Rodin ; mais celui-ci s’efforce intrépidement de continuer ainsi son débit d’une voix strangulée : « — Monseigneur a répondu… au prince… de Condé… le général Donadieu… je… »

— Malédiction !! je ne peux pourtant pas tuer cet affreux enfant ! — murmure avec une rage désespérée le général, repoussant loin