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je cours en m’unissant aux conspirateurs. Ah ! je tremble en songeant combien il s’en est fallu de peu au 9 thermidor que la commune ne l’emportât sur la Convention ! En ce cas, j’étais guillotiné ! Et en prairial ! en germinal ! en vendémiaire ! quelles horribles transes ont été les miennes ! Qui sait aujourd’hui quelles chances de succès peut offrir un coup d’État militaire, tenté par le général Bonaparte ? Le conseil des Cinq-Cents est républicain en immense majorité. S’ils en appelaient au peuple, si les faubourgs se réveillaient ! s’insurgeaient ! si l’on proclamait de nouveau la constitution de 1793, ce serait une nouvelle terreur ! Les fournées des tribunaux révolutionnaires recommenceraient, et je serais guillotiné l’un des premiers… Les anciens terroristes doivent machiner quelque chose. La présence à Paris de mon jacobin de gendre ne me présage rien de bon ; il a dû continuer ses relations avec ce qui a survécu des septembriseurs et des sans-culottes ; ils sont en petit nombre, mais énergiques, capables de tout ; ils ont pour eux la loi, le droit… la loi, puisqu’ils défendent la constitution que nous voulons renverser. Ah ! mes indécisions renaissent. Que faire ? Scélérat de Barras ! il veut se faire acheter sa démission, et ne s’engager ni pour ni contre le général Bonaparte. C’eût été, pourtant si avantageux pour Barras de grouper autour de lui un petit nombre de neutres qui ne se seraient décidés qu’après la lutte, et auraient profité de la victoire… Mais cet égoïste-là ne songe qu’à ses intérêts personnels. Que faire ? que faire ? et cependant si le général Bonaparte triomphe ! quel avenir attend ceux qui s’attacheront aujourd’hui à son audacieuse fortune ! Lucien m’a donné à entendre que si son frère obtenait la dictature, il fonderait un gouvernement cent fois plus fort que la monarchie. L’un des rouages de ce gouvernement serait un sénat à vie, où j’aurais, le cas échéant, un siège. Toutes les oppositions seraient écrasées, réduites à l’impuissance… la presse bâillonnée, la tribune muette. Quelle sécurité pour les partisans d’un pareil ordre de choses ! ils seraient, pour ainsi dire, sacrés !… oui, c’est bien tentant. Mais si Bonaparte a le dessous ! si les défenseurs de la constitution triomphent ! si la république est raffermie, je n’échapperai pas cette fois à la guillotine, car c’est par miracle que j’ai échappé jusqu’ici. Ah ! que faire ? que faire ?…

HUBERT, se levant, après avoir cacheté sa lettre. — Partons, beau-frère, partons !

DESMARAIS, le suivant. — Le sort en est jeté, je joue ma tête. Allons, c’est encore une agonie de vingt-quatre heures. (Ils sortent.)


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