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de quoi, je serais reçu chez ma femme et chez ma fille, comme un écolier penaud et repentant. Quelle insolence !

HUBERT. — Vous vous méprenez sur ses intentions.

DESMARAIS. — Plus un mot là-dessus. Je viens vous demander si vous allez à la réunion de notre collègue Lahary ?

HUBERT. — Certes, j’y vais de ce pas, car voici l’heure. Ah çà, vous êtes donc décidément des nôtres, maintenant ?

DESMARAIS. — Est-ce que j’ai jamais été du parti de Moulins et de Gohier, ces directeurs républicains ?

HUBERT. — Non, mais vous n’êtes pas non plus du parti de Sieyès et de Roger Ducos, ces directeurs contre-révolutionnaires. Je vous soupçonnais, et à présent je n’en doute plus, je vous soupçonnais fort d’être du parti de ce roué de Barras qui, en sa qualité de cinquième membre du Directoire, pouvait, en s’adjoignant soit aux deux directeurs républicains, soit aux deux directeurs réactionnaires, former une majorité dans le gouvernement, et faciliter ainsi un nouveau coup d’État dans un sens ou dans un autre ; or, je gagerais que, malgré sa rouerie, ne pouvant préjuger avec certitude à qui restera la victoire dans la journée de demain, Barras a donné ou donnera sa démission, ou plutôt vendra sa démission, car Barras ne donne jamais et reçoit toujours.

DESMARAIS. — Qui vous fait supposer que ce soit là le projet de Barras ?

HUBERT. — Votre détermination de venir à nous, car vous eussiez préféré, selon votre coutume, attendre l’issue de la lutte pour vous joindre aux vainqueurs.

DESMARAIS. — Point du tout. Je viens à vous d’abord, parce que, si abâtardie que soit la république, elle m’inspire autant d’aversion que jamais ; puis, parce qu’après mûres et consciencieuses réflexions, je…

HUBERT, riant aux éclats. — C’est charmant ! Consciencieuses réflexions… c’est impayable !

DESMARAIS, imperturbable. — Je dis qu’après mûres et consciencieuses réflexions, je me suis assuré que la dictature du général Bonaparte pouvait seule sauver la France d’une épouvantable anarchie, nous préserver des excès monstrueux d’une nouvelle terreur, et…

HUBERT. — Et cætera, et cætera. Ces déclamations courent les rues et traînent dans nos journaux depuis six mois. Vous direz ceci à la réunion de Lahary. Hâtons-nous, sinon nous serons en retard ; mais pardon, j’ai un mot à écrire, et suis à vous (Il écrit.)

DESMARAIS, pensif, et à part soi. — C’est peut-être à ma perte que