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bataille de Watignies, vous avez été conduit par le comte de Plouernel au quartier général de monseigneur le prince de Condé ; il vous a accueilli de la manière la plus flatteuse, et, pénétré de ce bon accueil, vous lui avez avoué que vous ne serviez qu’avec regret dans une armée assez dépourvue d’orgueil militaire pour subir le joug humiliant de ces scélérats de représentants du peuple…

— Misérable ! — s’écrie le général devenant livide, — tu oses…

— Vous avez de plus ajouté (toujours parlant à monseigneur le prince de Condé), ce sont vos paroles textuelles : « Monseigneur, ma dignité d’officier est tellement révoltée de la dégradante sujétion où nous réduit l’ignoble tyrannie de ces féroces proconsuls bourgeois, que, sans un dernier scrupule de conscience, je vous offrirais mon épée. »

— Ah ! vraiment, j’ai dit cela au prince de Condé ? — reprend le général Donadieu avec un sourire sinistre. — Tu prétends avoir les preuves de ce que tu avances ?…

— Les preuves sont écrites très au long sur certain registre particulier tenu à l’état-major du prince… registre où sont portés les noms de tous les officiers de l’armée républicaine sur lesquels, le cas échéant, le parti royaliste compte… ou croit pouvoir compter. Le fait qui vous concerne m’a été raconté par le comte de Plouernel, autrefois colonel aux gardes françaises, et présent à votre entretien avec monseigneur le prince de Condé, entretien ainsi résumé par ces paroles de Son Altesse Sérénissime à vous adressées : « Mon cher colonel, restez dans les rangs de l’armée républicaine… vous pourrez y servir plus efficacement la cause de notre roi légitime, en poussant à un moment donné votre régiment à se soulever, au nom de l’honneur militaire, contre l’ignoble joug de ces misérables si justement qualifiés par vous de féroces proconsuls bourgeois… Soyez certain, mon cher colonel, que le jour prochain peut-être du triomphe de la bonne cause, vous serez récompensé selon vos mérites… Jusque-là, gardez votre masque républicain. » Or, — ajoute le jésuite, — ce masque républicain, vous l’avez si bien gardé, qu’après votre échange contre d’autres prisonniers, vous êtes devenu général de brigade… puis général de division…

— Enfin, conclus, — répond d’un ton sardonique le général revenu maître de lui-même et complètement rassuré. — Quel est ton projet à cette heure ?

— Le voici…

— Il suffit… je vais t’épargner la peine de me le dire… Tu vas