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LEBRENN. — Quoi ! la bourgeoisie de 89 et de 93, tombée si bas ! elle qui, après tout, composait la Constituante, qui a laissé une œuvre si belle, quoique inachevée !

DURESNEL. — C’est piteux, c’est désolant, mais il en est ainsi, et je venais vraiment assez alarmé, mon cher Martin, vous dire que dans le milieu où je vis, ces rumeurs de coup d’État et de dictature ont pris, surtout depuis avant-hier, une telle consistance qu’évidemment nous sommes à la veille d’une crise : c’est donc aux républicains du conseil des Cinq-Cents d’aviser avec énergie et promptitude, s’il en est temps encore.

MARTIN. — Mais c’est l’histoire du soliveau de la fable ! La bourgeoisie sera la première à déplorer les conséquences de ses craintes insensées ! Elle domine, après tout, dans les assemblées depuis 1789 ; les grands hommes de la révolution sont tous sortis de son sein, et son influence politique serait réduite à néant sous la dictature de Bonaparte.
 DURESNEL. — La bourgeoisie est, de vrai, jalouse de son influence politique, mais plus jalouse encore de conserver son cou et ses biens (voici pour les trembleurs et les niais), et non moins jalouse de pouvoir agioter, tripoter impunément et s’enrichir par tous les moyens licites, et surtout illicites.

LEBRENN. — Qui songe à menacer la vie et les biens des bourgeois ?

DURESNEL. — Personne !

LEBRENN. — D’où naissent ces craintes alors ?

DURESNEL. — Elles naissent dans l’officine de la police de cet infâme Fouché, et ses agents les colportent, les répandent en tous lieux. Jugez-en : j’ai un cousin, bon homme au fond, mais très-borné, et plus peureux encore que borné. Hier soir, à onze heures, au moment où j’allais me coucher, ce cousin entre chez moi effaré, éperdu, me supplie de lui accorder asile pour la nuit, et il se décharge d’un sac caché sous sa houppelande, et contenant, me dit-il, quatre mille louis d’or. Je lui demande la cause d’une alarme si chaude. « Ah ! malheureux ! tu la connais mieux que moi cette cause, me répond-il ; ce sont tes amis, les anciens jacobins et les terroristes qui sont à la tête du mouvement. » Quel mouvement ? demandai-je à mon cousin ; or, savez-vous la réponse de cet imbécile ? La voici : « Cinquante mille septembriseurs, venus secrètement de tous les points de la France à Paris, sont à cette heure cachés dans les catacombes ; et, armés jusqu’aux dents, ils attendent le signal que doivent donner Moulins et Gohier, les deux