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Lebrenn, lui dit : — Eh ! si je ne me trompe, j’ai le plaisir de rencontrer chez un ami commun un ancien camarade du septième bataillon de volontaires ?

LEBRENN, cordialement. — Lequel camarade a été témoin de votre premier fait d’armes, citoyen Duresnel, lorsqu’après la charge des cuirassiers de Gerolstein contre notre batterie, vous et Castillon avez forcé le grand-duc de Gerolstein de se rendre prisonnier ?

DURESNEL. — C’est ma foi, vrai. J’avais, si vous vous en souvenez, « une terrible peur d’avoir peur, » mais elle a passé après les premiers coups de feu ; j’ai ensuite continué de marcher mon petit bonhomme de chemin dans notre bataillon jusqu’à son licenciement, et depuis, je vis de mes rentes et en bon bourgeois de Paris…

LEBRENN. —… Faisant, je le sais, un généreux usage de votre fortune, selon ce que m’a quelquefois écrit Martin… Vous êtes la providence des patriotes dans la détresse.

MARTIN, revenant, et ayant entendu les dernières paroles de Lebrenn. — Et ce n’est pas tout : non-seulement notre camarade Duresnel vient en aide aux patriotes, et à leur famille, avec une inépuisable générosité ; mais il soutient de sa bourse le dernier organe de la presse républicaine, le Journal des hommes libres.

DURESNEL, souriant. — Ah ! perfide ami ! puisque vous me trahissez, je vais à mon tour instruire notre ancien camarade des sacrifices que vous faites pour notre cause, et…

MARTIN, sérieusement. — Mes amis, revenons à un sujet d’entretien plus grave. Lebrenn, vous venez d’entendre les dernières paroles du colonel Olivier ?

DURESNEL. — Ne servait-il pas avec nous dans l’armée de Hoche ?

LEBRENN. — En effet, c’est lui. Je l’ai confessé en votre absence, mon cher Martin, et après l’avoir quelque peu ému, ébranlé par d’anciens souvenirs, son fanatisme pour son général a repris le dessus, fanatisme fort raisonné d’ailleurs, car Bonaparte fera, comme on dit, un pont d’or à ceux de ses officiers qui, demain, peut-être, s’associeront à sa fortune par un coup de main audacieux.

MARTIN. — Aussi l’avez-vous entendu, le colonel Olivier affirme que si son général conspirait, il avait la France entière pour complice.


DURESNEL. — La France entière, je ne sais, mais il ne faut point s’abuser ; la bourgeoisie stupide, peureuse ou pourrie ; en d’autres termes, l’immense majorité de cette estimable classe, à laquelle j’ai l’inconvénient d’appartenir, ne demande qu’une chose, la dictature, et celle du général Bonaparte lui agrée parfaitement.