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toujours par céder au nombre. Oui ! telle sera fatalement tôt ou tard l’issue de ces guerres d’envahissement que le général Bonaparte, dictateur, serait, je le répète, contraint d’entreprendre dans l’espoir d’éterniser sa dictature, de faire oublier à la France la perte de ses libertés en la rassasiant de gloire, gloire désastreuse, car un jour peut-être notre malheureux pays, envahi par l’étranger, se verrait réduit à subir l’humiliation d’une restauration monarchique.

LE COLONEL OLIVIER. — Y pensez-vous ? le retour de la royauté après le 21 janvier !

LEBRENN. — Cette royauté serait éphémère : la monarchie a été décapitée avec Louis Capet ; mais la honte de la France n’en serait pas moins grande, et cette honte, qui l’infligerait ?… l’ambition guerrière de l’homme dont l’éclatante renommée vous a fasciné, Olivier. Sans doute il vous promet des grades, des honneurs, des titres, une part subalterne dans son despotisme ! Renoncez, renoncez à ces tentations funestes… elles auraient un jour une expiation terrible. Mais vous ne me répondez rien ? Ainsi mes paroles sont vaines ? vous refusez d’écouter la voix de la raison, du devoir, du patriotisme ; le souvenir, les dernières paroles de Victoria sont impuissants à vous émouvoir. Il faut donc qu’elle s’accomplisse cette malédiction prononcée par ma sœur mourante : « Sois maudit, Olivier, si jamais tu trahis la république ! »

LE COLONEL OLIVIER, avec impatience. — La trahir, non ! mais la transformer.

LEBRENN. — La transformer… en protectorat à la façon de Cromwell, ou en empire à la façon de César !

LE COLONEL OLIVIER. — Que sais-je ? l’avenir en décidera. La république, telle qu’elle est aujourd’hui, n’est plus viable.

LEBRENN. — Rien de plus simple. Tuons les gens, afin de leur épargner le désagrément de mourir de leur belle mort ? Et maintenant, adieu, Olivier, il se peut que demain nous nous trouvions en armes l’un contre l’autre.

LE COLONEL OLIVIER. — Que voulez-vous dire ?

LEBRENN. — J’espère encore que les républicains défendrons par les armes, s’il le faut, la constitution que les conspirateurs et le général Bonaparte veulent renverser. Or, si la lutte s’engage, j’y prendrai part. Je ne forme plus pour vous qu’un vœu, Olivier, c’est qu’après avoir trahi la république, à qui vous devez tout, c’est qu’après avoir mérité la malédiction de la généreuse femme qui est morte pour vous, le hasard de la guerre des rues ne me fasse pas